Assise sur ma chaise, je n'écoute plus le monologue ininterrompu du professeur, qui nous parle des techniques pour extraire le charbon. L'heure a beau être bientôt terminée, je sens -comme d'habitude- une étrange torpeur s'emparer de moi et je manque de m'endormir. La salle est surchauffée. C'est un des rares endroits où l'on a assez chaud, dans le District Douze...
A côté de moi est assis mon meilleur ami. Jon Briggs. Grand, bien bâti, les cheveux noirs impossibles à coiffer, il est mon plus grand soutient depuis la mort de mon père.
- Plus que cinq minutes, souffle Jon après avoir regardé l'horloge numérique aux chiffres rouges pendue au-dessus du mur.
En effet, j'entends déjà le brouhaha caractéristiques d'élèves chanceux qui parlent dans le couloir. Il y a toujours des professeurs qui lâche plus tôt leurs élève. Mais bizarrement, ce genre de choses ne tombent jamais sur notre classe.
La sonnerie se fait enfin entendre. Je range mes affaires avec une main tremblante, sans doute d'excitation car j'ai prévu d'aller chasser avec Jon dès la fin des cours.
Nous nous précipitons hors de la salle. Adieu, cahiers, stylos, et à nous la belle vie dans la forêt !
Mais une autre épreuve nous attend avant qu'on puisse sortir de l'établissement : les couloirs sont bondés et il nous est presque impossible de faire trois pas.
Tant pis, Jon décide d'employer la manière forte. il me prend la main pour qu'on ne se perde pas et bouscule sans ménagement une fille venant du foyer communal.

- C'est ridicule ce que tu fais, dis-je.
- Ah oui ?
- Oui. T'aurais pu lui sortir une réplique bien lancée au lieu de la bousculer comme ça...
- Laisse tomber, tu veux ?

Les couloirs se vident alors qu'on se plaque contre le mur afin de laisser passer les autres. On arrive enfin près de nos casiers, qui sont côte à côte dans le grand hall.

- Hé, dit Jon en passant la tête derrière mon dos. Regarde !

Jon montre le bout du couloir en tenant le doigt pour que je me repère. Une retardataire s'avance, et je crois l'avoir déjà vue... Mais impossible de me rappeler de qui il s'agit.

- On dirait qu'il y a une ombre qui te suit, dis-je. A tous les coups, tu lui fais de l'effet.
- N'importe-quoi....

La fille s'approche vite de nous. Elle avance d'un pas rapide, ses cahiers contre son corps.

- Je la reconnais ! dit Jon. C'est Plume, la soeur de Jacob Sandersen.
- Elle a notre âge, non ? je demande.
- Ouais. Elle était dans ma classe l'année dernière.
- Un écureuil que c'est toi qu'elle vient voir.
- Tenu ! riposte Jon. Mais c'est toi qui t'en chargera, de l'écureuil.
- La ferme, elle arrive... Fais comme si tu rangeais ton casier.

Au lieu de ça, Jon s'applique à remettre une des mèches de mes cheveux en place. J'attrappe son poignet.

- Hé, qu'est-ce que tu fiches ?
- C'est pas bien de regarder les gens avec trop d'insistance, chuchote Jon.

La fille est arrivée juste devant nous. Et son casier est celui à droite du mien...

- Bon... Bonjour, bredouilla la fille.

Je lève les yeux vers le toit blanc cassé du couloir, je m'empare d'une de mes mèches de cheveux roux et la mordille consciencieusement. Pourquoi suis-je rousse, d'ailleurs ? Je n'aurais pas pu être blonde, comme la fille qui est en face de moi, ou brune comme tous les gens de la Veine ? Non, évidemment, il a fallu que ça tombe sur moi. En même temps, je ne peux m'empêcher de penser que cette couleur sera peut-être un atout, si jamais je suis tirée au sort... Peut-être que les sponsors aimeront cette bizarrerie. Cette différence.
Je déteste le Capitole. La voilà, la vrai raison qui me pousse à penser tout le temps à cette éventualité. Ce ne sera peut-être pas moi, cette année. Peut-être que cette fois encore j'échapperais à l'enfer des Hunger Games.
D'ailleurs, la fille en face de moi, d'où vient-elle ? De la Ville, certainement, on le voit avec son visage d'ange et ses cheveux caramel. Mais elle n'a pas l'air si bien nourrie que cela.
Justice est faite... Rien qu'en pensant cela, je me mords la lèvre. Je suis égoïste. Les hommes sont égoïstes. Quand on est propulsé dans l'arène, quel qu'en soit le décor, c'est chacun pour soi.

- Je crois que je t'ai déjà vue, tu t'appelles... ?
- Je m'appelle Leanne Chetwood, dis-je d'une voix bizarrement éraillée. Et lui, c'est Jon Briggs, mon meilleur ami. C'est bien toi que les gens surnomment Plume ?

Je me sens soudain bien stupide de parler d'elle ainsi. Elle est tellement timide qu'elle rougit, ce qui la rend encore plus mignonne, je dois bien l'avouer. Ce surnom, je l'ai entendu en passant dans une des rues de la ville alors qu'elle parlait avec une autre fille du District. Une amie, certainement. Ca doit être la seule fois où j'ai vu celle qui se tient devant moi...
Profitant de la situation, je la détaille rapidement. Un peu plus petite que moi, tout aussi maigre, elle n'a pas l'air d'être aussi bien nourrie que tous les gens de la Ville, mais une question résonne toujours dans ma tête : Qu'est-ce qu'une fille de la Ville peut trouver comme intérêt chez une pauvresse de la Veine ?

En voyant Elena rougir, je lui souris afin qu'elle se détende.
Elle est timide. Ca se voit comme le nez au milieu de la figure. Et qu'est-ce que les gens sûrs d'eux doivent faire dans ces cas-là ?
Mettre à l'aise leurs interlocuteurs. Rien qu'à cause de ce principe, je me sens comme ayant le devoir de l'aider. En plus, elle a vraiment l'air sympa. Ce n'est pas comme si j'avais un tribut de Carrière devant moi...
Je secoue la tête. Ce n'est pas vraiment aidant de penser à ce genre de choses quand on n'a jamais été dans l'arène. Les gens peuvent croire que l'on va se porter volontaire, comme les Carrières, mais si on ne le fait pas, tout le district nous en voudra. Heureusement que peu de personnes savent que je sais chasser...
Jon me donne un coup de coude dans les côtes alors qu'Elena me fixe. J'ai dû rater quelque chose... Elle a dû me parler et je n'ai -encore une fois- rien écouté. Quelle idiote je fais !

- Oui, c'est bien moi. Mais ils me surestiment un peu vu la raison de ce surnom... J'aime beaucoup ton prénom, je n'ai jamais connu quelqu'un d'autre qui ait le même, dit Elena.

Je hausse un sourcil dubitatif. Mon prénom, peu courant ?

- Euh...dis-je. Mes parents voulaient juste me détacher du commun des mortels, je pense !

J'ai beau espérer que cette brève tentative d'humour fasse sourire Elena, je me dis qu'il y a peu de chance qu'elle éclate de rire. Pour reprendre on assurance habituelle, je m'appuie contre la cloison entre nos deux casiers.

- Cela fait longtemps que tu es dans l'école ? je demande. je ne t'avais jamais vue chercher quelque chose dans ton casier et pourtant ils sont tout près...

En attendant qu'elle parle, je réalise que l'envie de sortir du lycée est vraiment plus forte que moi. Pour quelqu'un qui a du mal à rester à l'intérieur sans rien faire, j'ai vraiment l'air cruche ! Jon comprend que je commence à m'agiter, et me sourit pour que je me détende. Dans ses yeux, je lis un message du genre "On sortira. Bientôt..."

Leanne & Elena

« Le bon côté d'une Plume »

CRÉDIT - CSS

Après avoir prononcé ma phrase, peut être un peu trop rapidement, comme si je voulais m'en débarasser, j'attendis une réponse. Mais malheureusement, quelques longues secondes de silence passèrent et elle ne répondait pas. Je ne comprenais pas pourquoi elle ne me répondait pas, puis son ami lui donna un coup dans les côtes et elle sembla reprendre ses esprits. Ouf, elle était seulement entrain de rêver, ça m'arrivait aussi souvent que les gens me parlent et que moi, dans mes esprits, je ne les entende pas. La jeune fille haussa les sourcils en entendant que je trouvais son prénom peu commun, et je me dis que ce n'était peut être pas une bonne idée de dire ça, sans trop savoir pourquoi.

"Euh... Mes parents voulaient juste me détacher du commun des mortels, je pense !"
Il fallait avouer que sa blague n'était pas réellement très drôle, mais j'avais toujours été très bon public et donc je souris franchement, sans me forcer. Leanne s'adossa à son casier et à ce moment, elle eût l'air très sûre d'elle. Je l'enviai pour cela, j'avais toujours admiré ces personnes pleines de courages et d'audace, qui ne rougissent pas à la moindre parole, et qui sont capable d'aller vers les autres sans avoir les mains moites et tremblantes. 

" Cela fait longtemps que tu es dans l'école ? Je ne t'avais jamais vue chercher quelque chose dans ton casier et pourtant ils sont tout près... "

Je soupirai. J'étais donc aussi invisible que j'en avais l'air, même si il faut l'avouer, j'aimais ne pas être regardée et j'attendais souvent que le flot d'élèves se ruant vers leur casier se calme avant d'y aller à mon tour. Etre bousculée par des garçons qui ont deux têtes de plus que moi et que me jettent à moitié à terre d'un coup d'épaule ne me plaisait pas vraiment. Tout en y songeant, je regardai Jon, qui semblait tout à fait être le genre de garçon capable de faire ceci, il avait une carrure capable de me faire tomber sans même s'en rendre compte.

"Oh, eh bien je suis ici depuis que je suis petite, je préfère attendre que la foule se dissipe avant d'aller chercher mes affaires."

Leanne semblait un peu agitée et pressée de sortir. Je jettai un oeil à l'horloge et vis que l'heure du déjeuner était déjà largement dépassée, mon ventre gargouilla un peu en y repensant, et je regardait Leanne d'un air gêné en espérant qu'elle n'ait rien entendu. Peut être avait elle faim elle aussi, et désirait-elle rentrer au plus vite pour manger ?

"Je te retiens peut être, tu es pressée ?"

Dès que j'avais prononcé cette phrase, je l'avais regretté. J'avais l'air d'une fille malpolie pressée de se débarrasser de son interlocutrice, alors que ce n'était absolument pas le cas. J'attendis sa réponse tout en priant pour qu'elle ne le prenne pas mal.

Leanne & Elena

« Le bon côté d'une Plume »

CRÉDIT - CSS

- Oh, eh bien je suis ici depuis que je suis petite, je préfère attendre que la foule se dissipe avant d'aller chercher mes affaires.

Je souris comme une idiote. Je la comprends, c'est vraiment l'enfer quand les couloirs sont bondés, mais par chance je n'ai jamais eu à élaborer de telles stratégies car Jon et sa bande étaient toujours avec moi. Petit à petit, la simple présence de mon ami derrière moi me détend. Ce n'est pas ma faute : la Moisson approche, j'ai toujours été stressée pendant toute cette période, la période des Hunger Games... J'ai une peur bleue de l'arène. Et ça me mine. Je souris à cette allusion, vu que notre district est celui des mines de charbon.
J'entends un gargouillement étrange, vers Elena, mais je fais semblant de ne rien avoir entendu. Ca la mettrait encore plus mal à l'aise, si seulement c'était possible. Ca doit être horrible de vivre comme ça en ayant peur de son ombre !
Rien qu'en pensant cela, je la gratifie d'un regard compatissant. Et je me promets de faire un crochet par chez elle ou d'essayer de la croiser pour donner du gibier à sa famille...
La phrase suivante d'Elena me tire de mes réflexions.

- Je te retiens peut être, tu es pressée ?

Un rapide coup d'oeil en direction de l'horloge numérique, un autre regard parcourant le couloir vide suffisent à me dérider.

- Non, ne t'inquiète pas, dis-je en lui souriant. C'est juste que je suis habituée à faire tout le temps quelque chose...

Les yeux d'Elena s'écarquillent. Je crois que je lui ai fait plaisir, et je me tourne vers Jon en lui tirant la langue.

- Dis, tu es déjà allée dans la forêt ? je demande à Elena.

Leanne & Elena

« Le bon côté d'une Plume »

CRÉDIT - CSS

Je regarde sans rien dire Elena essayer d'élargir son sourire, mais je vois bien qu'elle a atteint son maximum. Oh, évidemment, je lui ait parlé de la forêt un peu brutalement, et je sais très bien ce que je risque si jamais je me fais prendre. Le fouet, ou même la pendaison si l'on m'aperçoit avec mon gibier. Puis je sens que je hausse les épaules. Mourir à cause de ça, je m'en fiche à un point que même Jon ne pourrait pas imaginer. Ca ne peut pas être pire que de mourir lentement et dans d'atroces souffrances en plein milieu de l'arène... Il faut que j'arrête de penser à ces horreurs. Ou sinon je vais devenir parano.

- Non, mais je crois que mon frère y est déjà allé, et toi ? demande Elena.

J'inspire profondément et je vérifie que nous sommes bien seuls dans le couloir. Mais il peut y avoir des caméras de surveillance... Vite, une excuse !

- On étouffe ici ! dis-je. Vous venez dehors ?

Sans attendre qu'Elena ou Jon me réponde, je fourre tout dans mon casier et je m'empare de ma gibecière, qui me sert aussi de sac d'école. De toute façon je sais bien que Jon me suivra dehors, et j'espère qu'Elena lui emboitera le pas vu que je n'ai pas répondu à sa question. Une fois dehors, où est le meilleur endroit pour discuter de ce genre de choses ? Je souris à Jon et je fais signe à Elena de venir avec nous.

- Tu viens ? je demande à Elena. On devrait pas traîner au lycée...

A voir son air étonné, je crois qu'elle a compris que je brave les interdictions tous les jours pour nourrir ma mère et ma soeur. Mon frère, lui, a trois repas consistants par jour grâce à sa fonction -il est Pacificateur- vu que les autorités du Capitole tiennent à garder leurs gardes en bonne santé. C'est logique, il faut qu'ils soient prêts à intervenir au moindre problème, surtout par les temps qui courent. Jon et moi échangeons un regard gêné. Je sais à quoi il pense : il doit se rappeler de la dernière émeute déclenchée devant le lycée, pendant laquelle il s'est fait fouetter pour l'exemple et où j'ai récolté un coup de fouet au visage (j'en ai gardé une cicatrice) et dans les côtes. D'ailleurs j'ai bien l'impression qu'Elena vient de remarquer ma cicatrice...

- Tu sais d'où ca vient ? dis-je. C'est un Pacificateur qui me l'a faite.

Ca y est, je crois que j'ai achevé de la terroriser...

Leanne & Elena

« Le bon côté d'une Plume »

CRÉDIT - CSS

- Comment ... Je veux dire, tu as eu cette cicatrice à cause de la forêt ?

En voyant sa mine inquiète, je lui souris par réflexe alors que nous tournons au hasard dans une rue de la Veine, par chance déserte. J'aperçois un banc à moitié cassé non loi de nous, et un muret juste à côté, et je me dirige dans cette direction. Je m'assois sur la moitié du banc encore en bon état, et je propose à Elena de s'installer sur le muret. Jon, lui, s'applique à faire basculer le centre de gravité du banc en s'asseyant à ma droite.
J'inspire profondément et un seul regard encourageant de Jon m'oblige à me lancer.

- Tu sais, il y a eu une émeute au lycée il n'y a pas si longtemps de ça. Tu t'en souviens ? dis-je.

Je n'attends pas qu'Elena montre un signe d'assentiment, ou même qu'elle approuve ma phrase, et je continue dans ma lancée :

- Jon s'est fait attraper pour l'exemple, ce jour-là, alors qu'il n'avait rien fait. Je ne sais pas si tu as déjà ressenti ce genre de choses, mais quand tu as un ami en danger pour rien, ça fait mal et on ressent une bouffée d'adrénaline qui nous pousse à aller à la rescousse de cet ami. C'est ce que j'ai fait alors que le Pacificateur dépassait les cinquante coups de fouet réglementaires... même si les gens avaient compté, il n'ont pas essayé de sauver Jon. Alors je me suis dit que je devais y aller, parce que sinon Jon y passerait.

Ces phrases, ça faisait longtemps que je me les répétait dans ma tête, parce que je n'ai pas raconté à ma mère l'entière vérité de ce qui c'était passé le jour de l'émeute. Ca l'aurait inquiétée, elle m'aurait interdit de fréquenter Jon. Ou pas... Je sais d'après mon frère qu'elle aide les rebelles du Treize, dans la communication avec le Douze, je crois. Mais elle n'en parle jamais et nous tient le plus éloignés possible de la rébellion. Parce qu'on nous arracherait la langue, ou pire, si jamais cela se savait. A Panem, personne n'a le droit de penser ce qu'il veut.
Elena me fixe sans ciller. Au lieu de la peur que j'avais pensé trouver dans son regard, j'y vois une nuance d'admiration et de dégoût... Tant pis, j'aurais le temps de réfléchir à ça plus tard.

- Elle s'est précipitée vers le Pacificateur, continue Jon pour m'aider. Et il lui a fouetté la joue et les côtes.

Leanne & Elena

« Le bon côté d'une Plume »

CRÉDIT - CSS

- Tu es vraiment très courageuse d'avoir fait ça.

Je regarde en silence ses prunelles claires, qui pétillent. Pour une fois que mon geste inconsidéré provoque de l'admiration chez quelqu'un... D'habitude, quand je le raconte, les gens me prennent pour une folle, et je récolte souvent des commentaires du genre : "Mais tu es complètement folle ! Tu te rends compte que tu aurais pu te faire tuer et lui avec ?"
Finalement, après y avoir réfléchi, je ne suis pas vraiment sûre d'avoir vu du dégoût dans ses yeux, tout à l'heure. Si il y en avait u, ça aurait été contre Panem... Il faudrait que je l'aide à avoir confiance en elle, mais je ne vois pas comment...

- J'aimerais être aussi courageuse que toi, pouvoir sauver un ami, en l'arrachant des griffes d'un pacificateur, et aller contre les règles pour pouvoir vivre mieux.

Je souris. Rien que penser cela, c'est déjà un bon début. Je décide de me montrer modeste, parce que si il y a une chose que j'ai du mal à supporter, c'est le gens qui prennent la grosse tête après avoir fait quelque chose qui n'est pas forcément reluisant...

- Oh tu sais, lui dis-je, ça n'a pas forcément amélioré les choses. Après ça, je me suis retrouvée sur un lit de fortune dans la pharmacie de ma mère à avoir les côtes douloureuses pendant deux semaines. Et pour Jon, ce n'était pas vraiment mieux non plus...

Il rit.

- Tu veux parler des nuits que j'ais passées sans dormir tellement mon dos faisait mal ? me demande-t-il.
-Peut-être... Quelque chose dans ce goût-là, je réponds.

Puis je soupire et je me retourne vers Elena. Je m'en veux de parler à Jon, en faisant comme si elle n'était pas là, mais ce n'est pas vraiment ma faute, je connais Jon depuis tellement longtemps...
Je décide de changer de sujet, histoire de rajouter un peu de banalité dans cette journée. Après tout, je ne connais rien d'Elena.

- Comment occupes-tu tes journées, si tu ne chasses pas ? lui dis-je avec un sourire que j'espère aimable.

Leanne & Elena

« Le bon côté d'une Plume »

CRÉDIT - CSS

- Un peu toujours la même chose, à part les cours et la musique, je n'ai pas grand chose à faire.

Je la regarde avec des yeux écarquillés. De la musique, dans le district Douze ? Woah, il y en a qui ont de la chance, on dirait. La seule chose à peu près musicale que je sais faire, c'est chanter. Et encore... Je connais uniquement l'hymne de Panem et la chanson de la Vallée... Mais je rêve secrètement de connaître un ou deux airs révolutionnaires.

- Je sais, ce n'est pas aussi intéressant que ton histoire à toi mais je ne suis qu'une petite fille tranquille !

Sans trop savoir pourquoi, j'éclate de rire. Dans ses yeux, j'arrive à lire une détermination farouche, maintenant. Peut-être que je pourrais arriver à entraîner Elena dans la forêt... J'y ai rencontré son frère un fois. Jacob Sandersen. C'était un des rares jours où j'ai chassé seule, mais j'ignore pourquoi ce souvenir remonte à la surface maintenant...

- C'est bien aussi de rester tranquille, dis-je. Ma mère n'arrête pas de me reprocher que je suis trop agitée et qu'un jour cela retombera sur ma famille. Mais ce n'est pas vraiment de ma faute si je suis hyperactive ! Et puis leur système barbare, ils peuvent se le mettre ou je pense.

Après ça, je soupire, attendant une réaction d'Elena. Me fréquenter va soit lui faire du bien pour l'aider à être un peu plus dégourdie, soit l'effrayer... Mais j'ai parlé une fois avec Brooklyn Lefevre, qui est une de mes clientes les plus régulières et qui adore mes écureuils. C'était le jour où je suis revenue dans la Veine avec Jacob, et j'ai compris qu'elles étaient amies, toutes les deux... Je ne peux pas être pire que Brooklyn dans le sens hyperactive !

- Tu fais vraiment de la musique ? je demande, intéressée. C'est plutôt rare dans le district...

Leanne & Elena

« Le bon côté d'une Plume »

CRÉDIT - CSS

Je lâche un petit soupir. Je sens bien qu'Elena n'est pas si motivée que cela par mes idées révolutionnaires qui pourtant ont su toucher le coeur de beaucoup d'habitants du district Douze.
Elena arrête soudain de rire, et son visage reprend l'air sérieux qu'elle garde d'habitude.

- Oui, tu as raison, quel affreux système.

Je fronce les sourcils. Elle se rallie à la cause, maintenant ? Etrange... A moins qu'elle ne change d'avis juste pour me faire plaisir afin de me dénoncer ensuite aux Pacificateurs sans que je n'en sache rien. A Panem, on ne peut faire confiance à personne.
Je la fixe, attendant qu'elle poursuive. Mais elle préfère se taire et détourne les yeux, je sens bien que je la mets mal à l'aise. A côté de moi, Jon me fait un clin d'oeil. Ca veut dire : "Ton plan ne marchera pas... Tu n'arriveras jamais à la rallier à la cause."
Ensuite, le temps que toutes ces pensées se frayent un chemin dans ma tête, elle répond à ma question de tout à l'heure... Ce qui me fait penser que je ne lui ai toujours rien raconté pour la forêt. J'ai un don pour éviter les questions, on dirait !

- Oui, je chante surtout, mais je joue aussi de quelques instruments. Je pense que la musique est un moyen de s'échapper, de pouvoir rêver à un monde meilleur.

Oh mon dieu, il y en a qui ont vraiment de la chance. Un instrument, rien que ca ! Et plusieurs !

- Woah, tu sais, tu as vraiment de la chance ! dis-je avec un grand sourire.

A côté de ça, mes balades en forêt passent carrément pour des missions-suicide.

- J'aimerais pouvoir m'améliorer en chant, tu sais, dis-je alors que Jon ouvre des yeux ronds. Je connais une ou deux chansons, pas plus, mais ça fait tellement longtemps que je n'ai pas eu l'occasion de m'entraîner que ça doit être peine perdue...

Spoiler:

Leanne & Elena

« Le bon côté d'une Plume »

CRÉDIT - CSS

-Oui, c'est sur, c'est un autre habitant du douze qui m'a appris !

Je sursaute et j'essaie à nouveau de déchiffrer son regard. Je ne connais qu'un seul habitant du Douze capable de chanter, si bien que même quand il chante, les geais moqueurs se taisent. Jon croise mon regard et m'offre un sourire navré. C'est de son grand-père dont parle Elena. C'est le seul habitant du Douze à connaître assez de chants pour pouvoir les transmettre à quelqu'un d'autre.
J'essaie de rester impassible, mais sachant que le vieux a été exécuté le même jour que mon père, c'est dur. Je me surprends soudain à me mordiller de nouveau une mèche de mes cheveux en attendant qu'elle continue.

- Oh, ça ne peut pas être si terrible que ça ! On peut toujours apprendre tu sais.

Je secoue fatalement la tête. Ca, c'est une chose pour laquelle on n'arrivera pas à me convaincre facilement.

- Peut-être mais ce n'est pas ma priorité, dis-je. Tu sais, on ne peut pas vraiment s'adonner à ce genre de loisir chez nous...

Je ramène ma mèche à sa place initiale, juste derrière mon oreille, et je replie mes jambes contre moi.

- Et puis, comment être sûre que tu ne me dénoncera pas ?

Leanne & Elena

« Le bon côté d'une Plume »

CRÉDIT - CSS

Je ne peux m'empêcher de pousser un long soupir. Elle est un peu comme moi, dans le fond. Elle veut à tout prix m'entraîner dans son idéal pour qu'on reste le plus possible toutes les deux. Sauf qu'il y a un hic. On ne peut pas s'attacher aux gens trop longtemps quand on souhaite faire partie de la résistance, comme moi, ou quand on a beaucoup de chances d'être tiré au sort.
En tout, je crois que mon nom est inscrit 18 fois. Je ne pense pas qu'Elena eut besoin de prendre de tessera une fois dans sa vie mais on ne sait jamais. Par rapport à la Ville, la vie dans la Veine est tellement dure qu'on comprend que notre vie ne tient qu'à un fil. Et je ne suis pas sûre qu'Elena en aie conscience. Cela expliquerait son attachement à la musique, un loisir qui paraît plus que futile au District Douze. Comme Jon et ses dessins. Sauf que lui ne montre pas à tout le monde qu'il dessine...

- Je ne vois pas ce qui t'empêche de chanter.

Sa voix claque dans la rue. Tiens donc, voilà qu'elle se rebelle devant mon refus. Je me retiens d'éclater de rire : ce n'est pas parce que je viens de la rencontrer que je vais épargner Elena de mes répliques acerbes.

- Pourtant je trouve que mes raisons sont assez suffisantes, répliqué-je. J'ai ma mère et ma soeur à nourrir, et la chasse prend du temps. Comment voudrais-tu que je chante alors que je ne peux tout simplement pas penser à moi ?

Je la regarde affichée une moue gênée, une lueur d'excuse brille dans ses prunelles.
Mon autre phrase achève de la mettre mal à l'aise, encore plus que tout à l'heure, si seulement c'était possible. Voilà, je crois que nous ne sommes pas vraiment faites pour nous entendre finalement.

- Je crois que tu ne peux jamais vraiment être sure ... Il faut me faire confiance je pense.

Je hausse un sourcil. Comment pourrais-je faire confiance à une fille de la Veine qui a une peur bleue de la forêt, et qui, à cause de cette peur, serait prête à me dénoncer aux Pacificateurs parce que ce que je fais pourrait retomber sur elle ?
Je secoue négativement la tête, sans le moindre petit regret. Je ne peux faire confiance à personne à part Jon, ma mère, ma soeur et mon frère.

- J'ignore si je peux te faire confiance, lui dis-je. Je ne sais pas si je peux faire confiance à qui que ce soit, ma simple fréquentation attire des ennuis à tout le monde.

Leanne & Elena

« Le bon côté d'une Plume »

CRÉDIT - CSS

Je fixe Elena avant de lever la tête vers le ciel. C'est drôle, les nuages sont tellement blancs qu'on pourrait presque voir à travers eux. L'un d'eux prend même la forme d'un geai moqueur pendant quelques secondes. A travers les rues tortueuses et les bicoques sales de la Veine, recouvertes de poussière de charbon, je peux apercevoir le Pré, et, plus loin, les arbres de la forêt. Ca me donne encore plus envie d'y aller et je recommence à m'entortiller les mains. J'ai toujours besoin d'avoir quelque chose entre les doigts...
Au bout d'un moment deux, Pacificateurs passent dans la rue en face de nous. Je fais signe à Elena de se taire, et l'un des Pacificateurs m'adresse un signe de tête. C'est Craig. Je lui fais un signe joyeux de la main et quand ils tournent au coin de la rue, Elena finit sa phrase.

- Pense ce que tu veux, moi je sais que je ne dirai rien, je ne comprend pas pourquoi tu m'as raconté toutes ses choses si c'est pour me dire finalement que tu pense que je vais vous dénoncer.

Je lâche un profond soupir. Et je pince les lèvres. Mais elle m'énerve, avec ses grands airs... Si seulement les regards pouvaient tuer, elle serait déjà à terre, raide morte.

- Je te ferais juste remarquer que je ne t'ai rien dit. J'ai juste fait une allusion au fait que je chasse. C'est comme si je passais mes journées à la Plaque, d'ailleurs tous les gens du marché noir ont chassé au moins une fois dans leur vie !

Je me retiens d'ajouter "Et la majorité d'entre eux valent bien mieux que toi", mais mon air furieux le laisse facilement entendre. Je pourrais le lui dire, après tout. Mais je m'abstiens. Sa prochaine phrase arrive quand même à me faire sortir de mes gonds.

- Je peux au moins savoir ce que vous comptez me faire pour être sûre que je ne dirai rien ? Me couper la langue ?

Sans trop savoir pourquoi, j'explose de rire. D'un rire frais, un peu nerveux sur les bords, mais qui me fait un bien fou. Je mets au moins cinq minutes à me calmer et Jon et Elena me fixent avec des yeux ronds. Aaah, ça fait un de ces biens... Ca fait une éternité que je n'ai pas ri.
En me tenant les côtes, j'arrive à peine à répliquer :

- Et comment tu voudrais qu'on t'arrache la langue ? Avec nos ongles ?

Rien qu'en imaginant cela, mon fou rire reprend. Je ris tellement que mes côtes me font mal, et Jon aussi éclate de rire. Elena va-t-elle se rendre compte que sa réplique était absurde ? Va-t-elle se joindre à nous ?
J'en doute.