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 Une amitié réduite au silence

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Une amitié réduite au silence Vide
MessageSujet: Une amitié réduite au silence   Une amitié réduite au silence EmptyLun 20 Jan - 3:01

Clarissa & Pantalaimon

« Une amitié réduite au silence »





Le voyage en train jusqu’au Capitole m’avait semblé durer une éternité. C’était la première fois que j’y retournai depuis que « je savais », depuis que la vérité m’avait été révélée au grand jour. Assise devant une des larges fenêtres d’un wagon privé, le train filait à vive allure. Les paysages se succédaient, des montagnes et des forêts se confondaient tant la vitesse du train était enivrante. Un frisson m’avait parcouru l’échine lorsque j’étais montée à bord, c’était une sensation désagréable, angoissante qui m’avait saisi : comme si je me jetai délibérément dans la gueule du loup. Maintenant que je contemplai vaguement les terres que nous traversions, condamnée à attendre que nous soyons enfin au terminus, je n’arrêtai pas de me répéter qu’il y a encore quelques semaines j’aurais été des plus fières d’aller présenter mes nouvelles technologies. Il s’agissait essentiellement de nouveaux équipements pour les armées, dont un matériau thermoformé qui ne laissait pas passer les balles malgré sa grande souplesse et son adaptation parfaite à la surface qu’il recouvrait. Aujourd’hui, je n’arrêtais pas de me répéter que j’allais donner de l’avance à celui qui m’avait privée de ma seule famille et m’avait élevée comme si j’étais sa fille. C’était assez étrange comme sensation : se sentir l’enfant de quelqu’un tout en sachant qu’il était aussi celui qui nous avait enlevé une enfance normale et un bonheur naturel. Un sourire se posa sur mes lèvres à cette pensée. Je détournai les yeux de la fenêtre et les posai sur William.

Agé d’une trentaine d’années, il était de ces ingénieurs du District Trois pour qui créer pour créer était suffisant. Il ne demandait pas grand-chose, si ce n’est qu’on le laisse prouver sa valeur en tant que génie des applications technologiques et concepteur de valeur. J’étais l’inventrice, la tête pensante ; il était celui qui réalisait mes idées, les mettaient en application. Nous nous étions bien trouvés. Un jour, j’espérais pouvoir maîtriser ces deux aspects de mon travail, être inventrice et conceptrice, mais depuis que la révélation avait eu lieu, j’avais bien du mal à me concentrer. Les conseils de William me passaient au-dessus de la tête et bien que je sache parfaitement dissimuler mes émotions au reste du monde, William me connaissait depuis tellement d’années qu’il commençait à sentir que quelque chose avait changé. Il leva son regard vers moi à cet instant précis, délaissant le dossier posé sur ses genoux : il aimait toujours être prêt pour les présentations officielles. Je lui souris, je ne tenais pas à lui donner une raison de plus de voir mes doutes. Visiblement, mes iris pétillants durent suffire à le convaincre. Il me rendit mon sourire avant de replonger dans son dossier.

La fin du voyage se passa dans un silence de mort. Je n’étais pas de ces âmes sensibles qui auraient frissonné rien que de se trouver dans un train capitoléen après ce que je savais. Après tout, tant que les puissants ignoraient que j’étais au courant de tout, ils n’avaient aucune raison d’éliminer une jeune inventrice prodigieuse. Et puis, les parents et la fille tués dans les mêmes circonstances, cela aurait été trop suspect. Non, ce qui m’obsédait dans ce train, c’était la vue. La vue des paysages qui filaient, encore et encore, derrière la vitre épaisse. Lors de mes précédents voyages, je m’étais déjà surprise à songer que c’était exactement cela que mes parents avaient vu avant de mourir. Aujourd’hui, je savais que ce n’était pas tout à fait la vérité. Ils avaient certainement vu le visage de leur bourreau, le sol se dérobant sous leurs pieds lorsqu’on leur avait tranché la gorge. Peut-être même avaient-ils notés les défauts de fabrication du wagon, les soudures non précises et les petits impacts çà et là dans le bois massif des tables des cabines : on dit souvent qu’on remarque des détails avant de mourir, comme si on se concentrait sur quelque chose pour le faire paraître essentiel. Ou peut-être simplement, avaient-ils vu une dernière fois mon visage sur la photographie que ma mère tenait dans sa main ensanglantée…

Le train s’arrêta en gare. Je sursautai quand il s’arrêta un peu brusquement et pris tout mon temps pour me lever de la banquette confortable tandis que des Pacificateurs, nos gardes du corps comme prenait plaisir à nous le rappeler nos interlocuteurs au Capitole, entraient pour venir nous assister. J’attrapai mon blouson noir dont je tirai la fermeture éclair, ainsi que mon sac que je passai en bandoulière. Avant de sortir à leur suite, je n’oubliai pas ce pour quoi nous nous déplacions ici : notre invention précautionneusement emballée dans une valise en métal argenté, fermée à l’aide d’un code à six chiffres. Cela m’avait toujours paru un peu théâtral, et encore plus maintenant.

Entourés de trois Pacificateurs, nous gagnâmes à pas hâtifs le nord de la ville. C’était la partie la plus sécurisée et, comme les trois autres fois où nous avions été invités, nous dûmes satisfaire à plusieurs contrôles de nos identités à différents postes de sécurité. Plus nous nous approchions de notre but, plus les vigiles semblaient tendus et à la carrure impressionnante. Je me souvenais m’être réjouie un jour que ceux qui avaient si bien pris soin de moi soient aussi bien protégés : ils le méritaient. Alors que je présentai ma carte officielle d’ingénieure du District Trois au dernier poste de contrôle et montrai mon doigt afin de subir la fameuse piqure de mon index pour signer le registre de mon sang, j’avais beaucoup de mal à accepter avoir pu être un jour rassurée qu’on protège ces gens-là, sans pour autant souhaiter qu’on ne les rende trop vulnérables. Selon toute évidence, je n’avais pas encore réussi à accepter la réalité et à choisir en qui je devais accorder ma confiance. Le pourrais-je seulement à nouveau un jour ?

La présentation se déroula sans le moindre accroc. William avait une éloquence particulièrement admirable et je ne pus m’empêcher de sourire avec sincérité aux responsables du ministère de la défense venus assister à la présentation. Les anciennes habitudes avaient la vie dure. Quoi que cela n’était pas plus mal pour moi, j’arrivai à garder ma carapace et à ne rien laisser paraître de ce que je pensais vraiment. En m’élevant dans un de ces orphelinats, le Capitole avait formé une excellente actrice qui avait compris très jeune que dans la vie il faut soit être la proie, soit le chasseur, soit le leurre… J’étais ce dernière, si malléable que la proie me cherchait sans me trouver et que le chasseur m’appréciait… Néanmoins, je fus tout de même heureuse de constater que le chef des armées, McMillan, ait eu d’autres occupations plus prenantes l’empêchant de venir assister à notre démonstration. Même si mon sang froid était extrême, je n’étais pas certaine de ne pas ciller si je me retrouvais face à face avec celui qui avait signé l’arrêt de mort de mes parents.

Notre audience dura environ une heure, durant laquelle nous expliquâmes la réalisation de notre invention, nos inspirations et toutes les applications qu’elle pourrait permettre dans le domaine de la défense : nouvelles tenues pour les Pacificateurs, une meilleure robustesse de certains véhicules si nous recevions des subventions pour réussir à cloner cette technologie pour l’adapter à du verre et du métal, etc… Nos interlocuteurs furent séduits dès que William ordonna à un Pacificateur de me tirer dessus pour tester ma tenue, un gilet noir très doux dont l’épaisseur ne gênait que très peu mes mouvements. Avec un rictus, il avait appuyé sur la gâchette. Peut-être nous avait-il pris pour des illuminés jusque-là, car il fit des yeux ronds quand sa balle me projeta légèrement en arrière sans me faire tomber et resta fichée dans mon gilet sans le transpercer. Mon large sourire alors que je retirai le gilet afin de le faire passer à nos hôtes termina de les convaincre. Je ne pus éviter de ressentir une certaine fierté à cette nouvelle réussite dans ma jeune carrière d’ingénieure. Pourtant, je savais que ce que je faisais là était mal, j’aidais l’ennemi… Mais qui était-il réellement en fin de compte ? Le Capitole qui avait assassiné mes parents ou les Rebelles qui les avaient embrigadés et avaient donc contribué à leur fin tragique ? Dans cette histoire, j’avais parfois le sentiment que personne n’était tout noir ou tout blanc. Devais-je suivre la voie de mes parents uniquement parce que j’étais leur fille ? Ou avais-je le droit de me tourner vers leur bourreau ? Je n’étais plus à ma place nulle part, dans un camp comme dans l’autre.

J’étais en train de ranger notre matériel quand un vieux bonhomme au costume noir à paillettes multicolores vînt à ma rencontre. Il était habillé de manière bien moins extravagante que la plupart des habitants du Capitole que j’avais pu croiser jusqu’alors, même sa coupe de cheveux aurait pu passer dans notre district. Sa barbe était par contre taillée dans une forme assez étrange, à mi-chemin entre un éclair de foudre et un point d’interrogation. Il m’observa un moment derrière ses grosses lunettes dont les verres gris laissaient filtrer la couleur rouge totalement artificielle de ses pupilles. On aurait dit un démon échappé du pays des merveilles !

Puis après m’avoir laissé ranger le dernier tissu, il me tendit sa main afin de m’aider à me lever et commença à m’expliquer la raison de son intérêt particulier pour nos démonstrations. Selon lui, nous étions des esprits novateurs, brillants et d’un dévouement qui ne faisait aucun doute ! Alors, avec l’accord de « plus haut placés que lui », il nous proposait de le suivre afin de nous montrer une machine de torture qui mériterait d’être remise à neuf. Trop de prisonniers ne cillaient plus devant la machine et ses hommes en étaient réduits à revenir à des techniques plus archaïques et moins jouissives. Il osait espérer que nous aurions des idées afin de la perfectionner : nous qui créions tant de choses utiles à la sécurité du Capitole, il ne doutait pas que nous accepterions également de l’aider à veiller à la sécurité des districts en lui permettant de questionner au mieux les ennemis de Panem.

*Torturer des rebelles, des gens comme mes parents* me pris-je à penser un instant. Je n’eus pas à me ressaisir, je n’avais même pas perdu la face durant la seconde pendant laquelle cette pensée dura.

Nous suivîmes le responsable et comprîmes bientôt où il nous conduisait et qui il était exactement. William me pressa la main comme pour me signaler qu’il ne me quittait pas d’une semelle et que s’il était trop éprouvant pour une jeune femme comme moi de pénétrer dans le quartier de haute sécurité de la prison du Capitole, alors il comprendrait et expliquerait notre souci à notre guide et mécène. Mais je ne désirais pas que nous nous arrêtâmes là. Je voulais voir ce que Panem faisait subir à ses prisonniers les plus « dangereux », les plus « Rebelles ». Un hochement de la tête suffit à montrer à mon équipier que j’allais tenir le choc. Cependant, il se rapprocha imperceptiblement de moi comme pour me défendre d’une menace invisible.

A nouveau, nous franchîmes plusieurs postes de contrôle en pénétrant dans une immense enceinte de granit noir. La pierre qui couvrait les murs étaient à vif, comme dans les vieilles histoires des grand-mères. Nous marchâmes dans un dédale de couloirs étroits, les murs à présent peints d’un blanc immaculé. Par moment, on pouvait entendre ce qui s’apparentait à des cris, des hurlements stridents ou des plaintes désespérées. Mais j’en faisais abstraction, je n’étais pas une âme sensible.

Enfin, notre but s’offrit à nous. Dans une vaste pièce peinte dans un blanc aussi parfait que les couloirs, on pouvait admirer sur la droite plusieurs machines de torture. Je me souvenais avoir vu les plans de certaines d’entre elles dans un des laboratoires du centre dans lequel je travaillais et j’éprouvais un certain plaisir à voir la réalité de ces maquettes. Même si c’était abominable, j’appréciais comprendre les tenants et les aboutissants de tel ou tel pièce et pouvoir ainsi observer la réalisation finale d’un projet, même lorsqu’il n’était pas mien, provoquait toujours chez moi une espèce de fascination incontrôlable. Notre responsable dut remarquer mon ébahissement car il s’adressa soudain à moi, me sortant de ma contemplation :

- Mlle Stern, voici la machine dont je voulais vous parler, dit-il en désignant une machine que plusieurs hommes aux visages émaciés poussaient au centre de la pièce.

De prime abord, elle paraissait assez simpliste. Mais de plus vrai, cette machine était un chef d’œuvre de cruauté parfaitement maîtrisée. Certes, certains aspects étaient archaïques et je comprenais que notre interlocuteur n’y trouve plus son plaisir, mais elle avait été conçue pour infliger les pires blessures et je ne doutais pas qu’elle pouvait le faire avec une brutalité sans nom.

- Ah zut ! lâcha soudain l’homme à la veste noire pailletée tandis qu’un autre qui était venu lui murmurer une information s’en allait déjà. Je crains que nous ne devions attendre avant d’examiner cette machine, elle vient d’être utilisée sur un détenu mais bien sûr personne n’a pensé à la nettoyer…

J’avais bien vu briller de loin, à la lumière artificielle des spots blancs, de petites touches rougeâtres et noirâtres ainsi que des morceaux graisseux. Toutefois, j’avais pensé qu’il s’agissait simplement de touches, de boutons mal placés ou encore de graisse pour fluidifier les mouvements des articulations de la machine. Jamais il ne me serait venu à l’esprit que ça puisse être…

*Non non non Clary ! Ne pense pas à cela…* Des morceaux humains…

Je me retins de vomir mon déjeuner et détournai le regard immédiatement pour tenter de me concentrer sur ce qu’ajoutait le commanditaire.

- J’ai envoyé quérir quelqu’un pour nous débarrasser de cela, ce ne sera pas long. Voulez-vous boire quelque chose en attendant chers amis ?

Le goût de mon déjeuner en bouche, je ne pourrais rien avaler sans le refluer dans la seconde. William accepta et fut invité dans le bureau du responsable « jusqu’à ce que cette merveille soit de toute beauté ! ». Quant à moi, je demandai avec un peu de timidité si je pouvais rester afin de regarder de plus près les autres machines qui trônaient dans la pièce, j’étais trop curieuse pour ne pas m’y intéresser de plus près et surtout cela me permettrait de me concentrer afin d’oublier de ce que je venais de voir. Ma demande fut accordée et je restai donc seule dans la grande pièce blanche, ou du moins seule en apparence car je ne doutais pas que nombre caméras scrutaient chaque centimètre carré du Capitole à l’affût du moindre écart. Je posai mes affaires contre un mur, non sans prendre le temps de ragrafer sur mon chemisier rouge mon badge d’ingénieure et me dirigeai vers les machines sur le côté. J’avais besoin de me vider l’esprit et quoi de mieux que de le perdre dans des pensées cartésiennes et structurées pour cela.
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MessageSujet: Re: Une amitié réduite au silence   Une amitié réduite au silence EmptySam 25 Jan - 17:45