Du vent dans les feuilles

Du vent dans les feuilles

Shélim Métayer & Leanore Blacksand

Le paysage défile à toute allure au travers des vitre du train. J'écarquille grand les yeux, essayant de capter un maximum d'images de ce monde qui m'est inconnu et que je ne verrais peut être jamais de nouveau.

J'ai quitté hier le district dix, pour rejoindre le district 7, afin de récolter des ingrédients essentiels pour soigner les animaux malades, des produits que l'on ne trouve pas dans la petite forêt clairsemée du district dix.
D'habitude, c'est Ezechiel Barnes qui est chargé de cette mission. Mais, il y a trois jours, sa femme est venue me voir pour me demander de prendre sa place. Son mari s'était foulé la cheville, et il était incapable d'aller dans la forêt du district 7. Nous nous somme donc rendues toutes les deux à la mairie, afin que j'obtienne une autorisation de sortie à la place d'Ezechiel.

Ça allait être ma première sortie hors du district, et je dois admettre que j'étais un peu angoissée. Le district 7 me semblait si loin ! en plus, il m'était très difficile de m'éloigner de mes animaux pendant presque une semaine entière. Et si l'un d'eux tombait malade ? Et si un pacificateur découvrait Kantar ?
Mais, d'un autre côté, j'étais également très excitée à l'idée de prendre le train et d'avoir l'occasion de découvrir un autre district. C'est une chance qui n'est pas donné à tous ! En plus je n'allait pas dans n'importe quel district, mais dans le 7... La forêt devait être magnifique là-bas, pleine d'animaux sauvages fascinants... Peut-être y avait il encore des lynx et des loups ?

Le jour du départ, j'ai emballé mes quelques affaires personnelles, et surtout mes boîtes pour ranger tout ce que j'allais récolter dans mon sac et je pris la direction de la gare.

Et maintenant je suis assise dans le wagon, en train de dévorer des yeux le paysage qui s'offre à moi. Le district 7 est encore plus beau que je ne pensais. Des arbres à perte de vue, une symphonie de tons de vert et de bruns... Je me demande si ses habitants sont conscients de leur chance...

je me demande d'ailleurs comment sera la personne qui va m'accueillir à la gare et me servir de guide dans la forêt pendant ces quelques jours. J'espère que nous pourrons nous entendre...

Mzlle Alice.

Le jour passer à travers les rideaux marron, l'air ambiant était tiède, les braises du feu éteint étaient encore rouge. Un rayon de lumière réussit a franchir mes paupières. Je ne pus retenir un grognement qui résonna dans la maison, vide. J'ai ouvert légèrement les yeux, laissant la lumière y pénétrait. J'ai ensuite enfouis mon nez dans mon oreiller, mes cheveux blonds étaient éparpiller sur le tissu blanc du coussin. Je me suis redressé tout en m'étirant. Le contact de mes pieds sur le sol froid me fis frissonner. Je me suis dirigé a pas lourd près de la source de lumière. J'ai poussé d'un grand geste sec les lourds rideaux de tissus. J'ai ouvert la fenêtre et j'ai posé délicatement la paume de ma main sur son rebord . Le soleil se reflétait sur ma peau claire, les rayons de soleil pénétraient dans mes yeux révélant leur bleu pur.

J'ai pris un grand bol d'air et j'ai fermé les yeux. Mes sourcils se froncèrent, il me semblait avoir oublié quelque chose.. Après un moment de réflexion; je me suis rappelé qu'une "vétérinaire" devais venir pour chercher des plantes. Et bien sûr comme je connaissais la forêt comme ma poche c'est moi qui me tape le boulot.. Enfin bref. J'ai enfilé un tee-shirt, un pantalon et mes chaussures. J'ai trottiné un bout de chemin, quand je suis arrivé à une rivière je m'y suis arrêté quelques instants, j'ai trempé mes mains dans l'eau puis j'en ai aspergé mon visage. J'ai ensuite humidifié mes cheveux en passant ma main dedans..

Je me suis rendu en ville, j'ai horreur d'y aller. Si j'y vais c'est par obligation pas pour le plaisir. J'ai horreur de l'odeur, l'odeur d'égout, de bâtiment et de sang.. Ce que je déteste aussi c'est l'impression d'étouffer, l'impression que même si tu voulais prendre la fuite tu ne pourrais pas, l'impression que tout est superficiel..

Quand je suis arrivé au passage où j'étais censé attendre la véto. Des pacificateurs attendait patiemment sur le quai, ne laissant passer que ceux qui avaient une autorisation. Je me suis mis sur le côté, mains dans les poches, attendant avec impatience l'arrivée de cette jeune femme.

Au premier abord, la ville ressemble beaucoup à celle que je viens de quitter au district 10. Des bâtiments tristes et froids, des gens qui marchent la tête baissée et des rues boueuses.
Mais l'odeur ici est différente. Ce doivent être les rejets des usines fabriquant le papier qui donnent cette sensation que l'air est un peu piquant.
Je passe mon sac en bandoulière, et me dirige vers les pacificateurs au bout du quai, afin de faire viser mon autorisation de pénétrer sur le district 7. Si je me faisais contrôler sans avoir ce papier en règle, j'aurais de graves ennuis !

Une fois cette formalité accomplie, je commence à chercher des yeux celui qui me guidera dans la forêt. Mon autorisation de sortie m'indique qu'il s'appelle Shélim Métayer. J'imagine un homme d'une quarantaine d'année, grand et plutôt musclé étant donné qu'il doit couper des arbres toute la journée.
Mais, tout en m'avançant, je vois un jeune homme d'une vingtaine d'année, qui semble s'impatienter, les mains dans les poches. Il est grand, blond et plutôt mince. Personne d'autre aux alentour, c'est donc bien lui mon contact. Je suis vraiment surprise, je m'attendais vraiment à voir quelqu'un de plus âgé, vu qu'il doit connaître la forêt comme sa poche. D'un autre côté, je suis moi aussi très jeune pour une vétérinaire, alors...

Il semble vraiment ennuyé d'être là et je commence à réaliser que ce qui est pour moi une aventure n'est peu être pour lui qu'une source d'embarras et d'ennui. C'est vrai que ce n'est pas exhalant de jouer les nourrices...
Mais, je suis là avant tout pour remplir une mission, tant pis s'il n'est pas content, je dois faire mon travail.Et plus vite nous serons dans la forêt, plus vite je pourrais commencer à récolter les plantes et racines dont j'ai besoin.

D'un pas décidé, je m'avance vers lui et lui tend la main :

- Bonjour, Tu dois être Shélim ? Je suis Leanore, la vétérinaire. Nous pouvons aller tout de suite dans la forêt si tu veux, je n'ai rien à déposer à l'auberge...

Le train rentrait en gare, un bruit de vieux frein et le sifflet de la machine retentirent dans le silence. Les portes s'ouvrirent et tout les passagers commençais à descendre dans un épouvantable brouhaha que mes oreilles avaient du mal à supporter. Des tas de visages défilaient devant mes yeux, puis un détail qui m'avais échappé sur le coup; je ne sais pas du tout a quoi elle ressemble la vèto! Aucun moyen de la reconnaître . Je ne sais même pas son âge. La seule info que j'ai c'est qu'elle est véto, elle a donc fait de longues études, elle doit donc avoir environ trente ans . J'ai entendu encore quelques minutes, je commençais vraiment à m'impatienter.
J'ai regardé par terre quelques secondes, histoire de passer un peu le temps et une vois féminine me fis lever la tête:
- "Bonjour, Tu dois être Shélim ? Je suis Leanore, la vétérinaire. Nous pouvons aller tout de suite dans la forêt si tu veux, je n'ai rien à déposer à l'auberge... "

Au moins ça avait le mérite d'être claire, net et précis comme présentation. Je l'ai longuement regardais, elle ne paraissait pas avoir 30 ans... Elle paraissait beaucoup plus jeune. Mais bon, ce ne sont que des apparences. J'ai finalement répondu à ces mots:
-" Oui c'est bien moi. Entendu, mettons nous en route."

J'ai marché à pas rapide, tout en zigzaguant à travers la foule. La vétérinaire était derrière moi et me suivais à petit pas. J'avais juste une envie: m'enfuir de cette ville meurtrie par la pauvreté et la tristesse et retrouver ma forêt étincelante et pleine de vie.

Arriver à l'entée de la forêt je ne pus retenir un souffle de soulagement. J'ai posé mes doigts sur l'écorce de l'arbre qui se trouvait en face de moi. L'odeur de la forêt humide m'avait beaucoup manqué pendant cette petite heure. Le vent tiède passait dans mes cheveux blonds et effleurait mes joues. J'ai pris un grand bol d'air frai et je me suis retourné vers Leanore et je lui en dis:
-"Bienvenue chez moi!"

J'ai pointé de la main un grand chemin dont on ne voyait pas la fin, il était tapissé de feuilles et d'aiguilles de pin, des arbres gigantesques jonchaient le bord de ce passage. Mon paradis, ma vie, ma maison.

- Oui, c'est bien moi. Entendu, mettons nous en route.

De toute évidence, ce n'est pas un bavard, et ma présentation rapide n'est pas pour lui déplaire. D'un certain côté, ça me rassure, je n'aurais jamais su comment entretenir la conversation avec un bavard...

Sans un mot de plus, Shélim tourne les talons et part à grands pas. Je trottine derrière lui afin de ne pas me laisser distancer. Il me semble que les gens ont l'aire plus malheureux dans le district 7 que dans le 10. Mais il est vrai que l'élevage nous permet d'avoir un peu plus de viande à manger et de laine pour nos vêtements que dans les autres districts. Et puis, les excréments des animaux nous permettent, une fois bien desséchés, de chauffer un peu nos maisons. Je me demande comment on vit dans le district 7, mais je n'ose pas demander à mon guide, il semble vraiment pressé de regagner la forêt. Peut-être trouverais-je le courage plus tard.

Au fur et à mesure que l'on avance, l'odeur piquante se fait moins forte, et je commence même à percevoir un légère odeur de terre humide. Sans m'en rendre compte, j’accélère le pas afin d'arriver plus vite à la forêt. J'en avais tellement rêvé !
Et puis, soudain, nous sommes devant la forêt. Une symphonie de couleurs, de sons et d'odeurs me heurtent de plein fouet. Je n'arrive pas à tout assimiler d'un coup et ma vue se brouille un instant.
Shélim se tourne vers moi et m'indique de la main le sentier :

- Bienvenue chez moi !

Je suis incapable de prononcer un mot, alors je m'avance silencieusement, à petits pas, sur le sentier jonché de feuilles et d'aiguilles de pin. Les arbres sont facilement deux fois plus grand que chez moi, et je ne connais pas la moitié d'entre eux. Certains ont sans doute des propriétés médicinales particulières, mais sur le moment, c'est le cadet de mes soucis.

Toute au bonheur de me trouver là, de vivre pleinement cet instant, je ferme les yeux, écarte les bras, et laisse le vent chargé d'odeur et de chants d'oiseaux me souhaiter la bienvenue...
Je voudrais graver cet instant dans ma mémoire, pour les jours difficiles. Ici, je pourrais oublier les pacificateurs, la Moisson et le Capitole je crois... La Moisson... Anaël... Il aurait aimé pouvoir se rendre dans ce district, et j'arrive presque à l'imaginer sur ce sentier, en train de caresser l'écorce des arbres, de suivre les traces des renards et des lapins sur le sol.
Une larme glisse lentement le long de ma joue, tandis qu'un sourire éclot sur mes lèvres. Je ne suis pas triste. Pas vraiment. Je vis cet instant pour lui aussi, en sa mémoire.

Au bout d'un moment, je rouvre lentement les yeux. Shélim me regarde fixement. Je me demande ce qu'il pense de moi...