Un baume pour le cœur, un pansement pour l'âme.
Avec Allen Davis.
Journée banale d’une existence sur laquelle plus grand-chose n’avait d’emprise.
J’avais entendu Maman cuisiner toute la journée. Depuis que je l’avais tirée de sa pharmacie dans laquelle elle s’était retranchée pour se réfugier dans ses souvenirs, elle s’était rabattue sur de nouveaux outils pour oublier l’absurdité de notre vie actuelle : les casseroles. Le four tournait constamment, elle n’hésitait pas à demander à qui de droit qu’elle souhaitait profiter des produits frais et exotiques que le Capitole voulait volontiers nous livrer. Alors, chaque repas était un festival de saveurs et de couleurs, encore plus impressionnant que n’importe quel bal de la capitale.
Je me souvenais lui avoir une fois demandé pourquoi elle portait encore les maniques. Elle m’avait répondu qu’elle se sentait bien plus d’humeur à cuisiner qu’à essayer de sauver des vies.
Comment imaginer que ma Maman, qui avait toujours été une cuisinière correcte sans pour autant exceller aux fourneaux, aurait trouvé du réconfort dans cette activité ? Je la laissais faire sans remarque, mais, dans le fond, je n’approuvais pas tout à fait. Evidemment, je pouvais me réjouir à l’idée de faire hurler ma styliste, cette insupportable Daphnée Delacour, qui ne supporterait sans doute pas que je rentre dans les froufrous prêts à m’accueillir depuis deux ans déjà.
En réalité, mes craintes auraient dû se porter sur ce refus de ma mère de se raccrocher à la réalité et d’accepter cette nouvelle vie. Je me demandais souvent si c’était mon rôle de secouer un peu cette maison parfaite, avec sa mère au foyer parfaite et sa petite Vainqueure parfaite.
Et puis, je haussais les épaules, me disant que ce souffle m’apportait du réconfort, et j’écoutais la fonte se cogner contre l’acier en regardant silencieusement le soleil, des bribes de vie du District, ou le vide du Village.
Le soleil d’été continuait son lent déclin vers l’horizon lorsqu’un fumet envahit la maison. Du bœuf, sans conteste, cuit en sauce avec une légère touche sucrée – du miel ? de la confiture ? Dans tous les cas, le tout mijoterait encore pour une paire d’heures, aux côtés d’un gâteau très doux se laissant lentement refroidir.
Mais plus que le repas, ce qui me percuta en ce début de soirée ce fut la présence d’une personne franchissant l’entrée du Village des Vainqueurs. Un gamin avec dans ses bras un panier en oseille. Impossible pour moi de reconnaître le garçon, illustre inconnu à mes yeux, visage quelconque dans la foule du District Cinq. Bien que… quelqu’air m’intrigua, sans que je n’arrive à mettre un nom dessus.
Surtout dans ce décor, au milieu des maisons impeccables et vides du Village préfabriqué.
Et soudain, je me rendis compte que la seule bâtisse que ce garçon allait visiter était la mienne. Enfin, la nôtre, à ma mère et moi – j’avais grand mal à accepter que Maman vivait chez moi et non moi chez elle. Et si elle était finalement destinataire de ces bons services, et non moi ? Ce serait source de soulagement. Peut-être un rappel pour Maman qu’elle était avant tout l’un des piliers du District, pharmacienne talentueuse et utile à toute la communauté. Je n’avais pas cœur à le faire moi quand je voyais ce bonheur qu’elle se forçait à construire jour après jour.
Laisser la surprise à ma mère dura dix minutes. Dix très longues minutes. Je tapais du pied sur le plancher, impatiente, avant de me demander si ce garçon ne se moquait pas ouvertement de nous. Aussi, quand il toqua à deux reprises, je bondis sur mes pieds et descendis précipitamment les escaliers.
« Je m’en charge Maman c’est bon ! »
Le garçon m’avait assez agacée avec son délai de dix minutes pour que je vérifie qu’il ne nous voulait aucun mal.
Je posai la main sur la poignée de la porte. Sa voix s’éleva de l’autre côté.
« Euh... Mademoiselle Wetthrone ? Amy Wetthrone ? Je suis Allen Davis. J'ai un présent pour vous, de la part de ma famille. Ils s'inquiètent tous pour vous alors... Je comprendrais que vous vouliez voir personne, alors je vais laisser ça sur le pas de la porte... J'espère qu'on vous reverra bientôt... »
Un instant, je m’arrêtai. J’entendis un bruit lourd derrière la porte. Mon esprit s’embruma de confusion et j’ouvrir prudemment la porte avant qu’il ne soit trop tard.
Je ne dis pas un mot alors que soudain, je voyais Adam Anderson devant moi.
Sa silhouette et son allure ne m’apparaissaient qu’à travers un entrebâillement, pas tout à fait assez grand pour que je puisse le voir. Mais lui au moins pouvait peut-être éviter mon air abasourdi. Le même visage, peut-être aux joues plus creusées, la même coupe de cheveux, le même air perdu et gêné de la personne qui ne semblait pas se trouver à l’endroit où elle devait être… Dans l’ombre de l’ancienne maison d’Elina, ce garçon sortait tout droit d’étranges souvenirs qui me laissaient pantoise.
« Bonjour. »
Mes yeux portèrent sur le panier à mes pieds.
« Pourquoi ce panier ? », demandai-je, un peu froide.