L’arène était animée par un soudain regain. Comme une revanche aux rumeurs qui courraient dans les rues du Capitole, entre les coups de ciseaux des salons de coiffure, les épingles des tailleurs, les miettes des salons de thé. Comme si les marionnettistes avaient compris que des pantins immobiles et des comédiens tacites ne constituaient pas une distraction suffisante et qu’ainsi, leur renommée et leur salaire allaient en pâtir.
En somme, l’arène était ennuyeuse pour les téléspectateurs.
L’hymne du Capitole avait détonné des enceintes réparties dans la salle des Mentors, heurtant les anciens Vainqueurs comme il heurtait leurs poulains perdus dans l’arène. Perdus au milieu d’un cimetière. Le troisième jour avait officiellement été conclu et déroulait son rapport au milieu des trompettes et des cymbales qui, elles, annonçaient l’arrivée en fanfares du quatrième jour.
Quatre Tributs morts. Quatre portraits défilaient sur fond noir ainsi que sous les louanges de Blewstone, qui vantait leur dévouement au Capitole et saluait leur sacrifice. Avant de passer au suivant et d’ajouter ces noms à une liste trop longue. Le précédent était oublié, le suivant balancé. Et étonnamment, parmi les nouveaux venus, il ne figurait encore aucun des gamins du District Dix : Chloé et Jason constituaient les derniers membres des plus pauvres Districts à tenir le combat. Strickland et Thorne avaient donc rapidement quitté l’« état-major » du mentorat et vaquaient à leurs occupations.
En vérité, les derniers Mentors aux Tributs encore vivants n’étaient autres que Featherstone, du Un, Beauregard, du Deux, Wingston, du Quatre, Ransom, du Neuf, et Ethan, du Dix. Si l’on ne comptait pas Saltsmann dans l’arène, accrochée à son petit bout du District Six auquel elle s’était entichée.
Pourtant, lorsque Ethan Underwood pénétra la salle des Mentors, il n’y avait personne. Les Mentors précités devaient vaquer à d’autres occupations : après tout, l’hymne du Capitole prenait fin, il devait donc être minuit passé. L’heure de la fête dans la capitale de Panem, des excès, des gens qui s’élevaient ou de ceux qui dégringolaient derrière les rideaux pourpre. Tout ce que l’homme du District Dix fuyait.
Il avait volontairement sauté sa propre apparition télévisée : Silena lui avait demandé plus tôt dans la journée de choisir entre Chloé et Jason pour savoir lequel des deux serait aveuglé pour le reste des Jeux. Si cela n’avait tenu qu’à Ethan, il aurait décliné l’invitation et aurait laissé les Juges assumer leurs décisions et conséquences. Mais le Mentor n’était pas bête : il savait depuis le premier jour que tout choix lui était dérobé. Il n’avait même pas l’illusion de l’illusion du choix. Alors, il s’y était rendu, avait délivré les mots magiques, condamné Jason, puis s’en était allé. Tout le monde était content dans cette histoire.
Sauf son Tribut, naturellement.
Depuis qu’on l’avait arraché à ses terres, Ethan dormait très mal. Il détestait les quartiers qu’on lui avait attribués au centre des Tributs, encore plus depuis que les deux infernaux gamins étaient partis pour l’arène ; il détestait les soirées mondaines au Capitole, encore plus quand il constatait que ses quelques manœuvres pour obtenir de l’argent sponsoring étaient malhabiles et réellement inefficaces ; il détestait le Capitole, finalement. Sauf lorsqu’il pouvait profiter de ses rues silencieuses la nuit, quand enfin les bâtiments n’avaient plus rien à prouver à leurs voisins et regagnaient leur humilité : leurs murs blancs pâlissaient, la pierre montrait ses défauts, et le son de la ville s’étouffait. Le tout s’offrait au Mentor du Dix quand il se rendait au centre pour suivre les Jeux.
Du silence. Ce que Ethan pouvait apprécier le calme et le silence, s’y sentir dans son élément, et plus proche de la pierre que de l’acier et le verre qui composaient tous les bâtiments officiels qu’on aimait à montrer sur les écrans de télévision. D’ailleurs, voilà que les publicités ornaient tous les écrans de la salle des Mentors et montraient le palais présidentiel. Avec une nunuche qui devait officiellement passer pour le sosie de la présidente – sosie raté.
Ethan eut un sourire moqueur, presque méprisant, en voyant cette pimbêche, puis se tourna vers la table basse qui comportait tous les alcools possibles et imaginables. Rien de mieux pour combattre cette barre de fatigue qui pressait toujours plus fort contre son front, en attendant que les lumières épileptiques et les sons surexcités s’effacent pour revenir aux Jeux.
Une, deux, trois gorgées. La chaleur de l’alcool apportait un certain réconfort qui était la bienvenue.
Enfin, les programmateurs décidèrent qu’il était temps que les Mentors n’aient plus la diffusion classique délivrée dans les foyers du Capitole, mais qu’il valait mieux leur donner les différentes caméras de l’arène. Ethan reposa alors son verre et porta d’abord ses yeux vers les images qui montraient ses deux Tributs. La colère qui traversait les yeux de Chloé en voyant que non, elle n’avait pas gagné : que non, l’ancien Vainqueur ne s’était pas plié à son choix malgré toutes ses manigances. C’était Jason. Point barre, tout le monde passait à la suite, les Tributs eux-mêmes. Un peu d’intelligence.
De compassion, même. Chloé prenait soin de Jason et promit de rester avec lui. Cela paraissait tellement sincère… pourtant, Ethan ne pouvait pas oublier cette lueur dans son regard au Bain de Sang, son envie de fuir en plantant son co-Tribut là. A quel jeu jouait cette nana ? Quelque part, il se refusait à lui faire confiance. Il n’y arrivait pas. Il avait la désagréable sensation que quelque chose sonnait faux chez cette fille… peut-être qu’elle-même n’en avait pas conscience.
Huit Tributs attroupés à la Corne d’Abondance. Quatre Tributs au Pont suspendu. Huit extraits des parcours des différents challengers. La situation calmée dans les marécages, le Mentor porta son attention ailleurs pour examiner les écrans et dresser ce bilan. La tension montait, c’était évident : les petites mains de la présentatrice flairaient les sacs de nœuds qui se formaient et ainsi, faisaient en sorte que l’attention nécessaire leur soit portée. Alors le reportage se dirigeait vers la Corne, où il était question de laisser derrière cinq Tributs faibles, et la zone du Pont suspendu, où se trouvaient et les Jumeaux du Deux, et les Tributs du Dix.
Pas bon plan, pensa immédiatement Ethan en terminant son verre d’une traite.
Mais les deux Carrières semblaient concentrés ailleurs les deux gamins de son District les avaient repérés et s’en éloignaient avec diligence. Ce qui n’apaisa pas le Mentor. Mais ça, il ne devait pas le montrer à la personne qui arrivait.
« Un combat entre Carrières ? C’est l’heure du spectacle… ! », marmonna Ethan en entendant la porte s’ouvrir derrière lui.
S’il avait été plus jeune, nul doute qu’il aurait d’abord entendu le pas étouffé par la moquette rouge du Centre. Mais peu importait : il préféra se servir un fond de whisky qu’il n’avala pas tout de suite.