La traque. C'était ce que je préférais. Ce moment de calme avant la tempête, il pouvait paraître si dénué d'importance et pourtant c'était alors que prenait place tout le piège qui finirait par refermer ses griffes sur ma proie impuissante. J'étais une voyeuse, tapie dans l'obscurité je suivais pendant des jours ma victime avant l'attaquer quand elle se montrerait vulnérable. Savoir se fondre dans l'ombre de sa proie pour mieux l'emprisonner dans mon étreinte mortelle, là était le véritable frisson.

La proie aujourd'hui, c'était Winston Davis. Il avait constitué le contact de cette pauvre écervelée de Coralie Standford et, là où je pouvais presque croire en la naïveté de cette gamine, j'avais bien du mal à ne serait-ce qu'envisager que cet homme au regard de fouine pouvait être étranger à la Rébellion avec ses pratiques douteuses. Quelques jours, il m'en fallut si peu pour réussir à percer son apparence d'ancien vainqueur modèle. Le premier, je découvris que ses parents étaient décédés il y a bien longtemps, fait qui n'était pas rare dans ce district qui empestait la misère, mais ce qui était intéressant était la cause de leur mort, que dis-je de leur exécution : le père avait été un rebelle... Le fruit ne tombait jamais bien loin de l'arbre et il fallait croire que celui-ci était pourri jusqu'à la moelle. Puis au fur et à mesure que les jours s'égrainaient, le tableau s'assombrissait. Ma filature me conduisit dans des recoins peu fréquentables. Il frappait à de nombreuses portes, des "livraisons" semblaient s'effectuer... Rien d'autre n'était nécessaire pour comprendre que l'ex-mentor était un habile trafiquant. Le salaire pitoyable des pacificateurs de ce district les incitait-il à se relâcher ou était-ce un soupçon de trahison qui les avait rendu aveugle au point de ne pas percer à jour les manigances de ce rebelle en puissance ? Désormais, la chasse était ouverte et je n'aurais besoin d'aucun de ces incapables pour arriver à mes fins.

Cependant, un détail me chiffonnait et gâchait mon plaisir : c'était si flagrant, si agaçant. Il n'était presque rien. Ses va-et-vient ne pouvaient pas être la mission d'un membre actif au sein des rebelles. Il n'était qu'un pion... Un minable sous-fifre, tout au plus... Peut-être même agissait-il dans l'espoir de les intégrer ? Et puis flûte, il fallait que toutes ces hypothèses cessent ! Avant, je devais néanmoins prendre une décision.

Assise sur le lit d'une vieille maison abandonnée, en périphérie de la ville, où je logeais fréquemment lors de mes infiltrations au district douze, je regardais fixement une crevasse profonde dans le mur qui me faisait face. Son sillage était sinueux, hideux. Je souris. Si je pouvais pas arriver à mes fins immédiatement je pourrais suivre ce chemin moi aussi, tout n'était qu'une question de patience...et rien ne m'empêchait de jouer un peu avec la nourriture avant de la dévorer. Je me levai, me dirigeai vers une ancienne commode.  Mes tatouages étaient parfaitement dissimulés par mes vêtements, ceux qui risquaient d'être démasqués étaient recouverts de maquillage discret. Je m'attachai les cheveux avec un ruban vert aussi décati que le jean que je portai. Des trous çà et là, une ceinture en cuir usé surmonté d'un pull noir moulant sur lequel on pouvait apercevoir quelques marques de charbon qui marquaient le tissu de fines zébrures grises.Deirdre n'existait plus. Je devins une autre, comme à chaque fois que la traque terminée devenait confrontation.

Les mains dans les poches, j'adoptais une attitude désinvolte alors que je venais de franchir les portes d'un des bars miteux du district douze. Ils étaient répugnants : des lieux sordides et glauques dans lesquels les mineurs venaient noyer le peu de fierté et d'argent qu'il leur restait. L'odeur de la fumée de cigarette roulée se mêlait aux effluves d'alcool, on pouvait même percevoir la pointe amère de la sueur de ses bougres imbéciles aux carcasses rongées par un mal propre aux abîmes minières. Des toussotements fréquents s'ajoutaient à cette scène pitoyable, entre deux rires crasseux. Vision écœurante.

Seulement, il était déjà là accoudé au comptoir en bon pilier de bar. Je m'y dirigeai directement et m'assis sur le tabouret haut à ses côtés.

▬ Un whisky, sec. intimai-je au barman d'un voix trahissant une certaine tristesse. Il me faut bien cela après cette putain de journée... sifflai-je entre mes dents juste assez fort pour que ma cible l'entende.

Je laissai ma tête tanguer d'un côté puis de l'autre, comme si je tentais vainement de repérer une quelconque connaissance ou un mâle convenable. Je sentais le regard de Winston sur ma nuque, maintenant il fallait que je garde son attention. En me retournant vers le comptoir, le verre atterrit dans ma main à côté des pièces que j'y avais déposées pour le payer. Un soupir m'échappa.

▬ Même pas un mec suffisamment gaulé pour rendre ma journée moins minable... lâchai-je en portant le verre à mes lèvres. Vous je suis sûre que vous n'avez aucun mal à trouver une nana et qu'aucune n'ose vous plaquer...

J'avais dit cela sans vraiment le regarder mais il ne pouvait subsister aucun doute sur le fait que cette dernière tirade était adressé au mentor à ma droite. Avais-je fait mouche ? Ce n'était pas encore le moment de lui porter plus d'intérêt, qu'on soit sur mon territoire au Capitole ou en terrain ennemi dans les districts c'était toujours les mecs qui venaient à moi et non l'inverse - avec une petite exception pour mon cher Kyle, cela allait s'en dire. Le liquide ambré coula dans ma gorge, la brûla, m'exalta. J'étais habituée à m'enivrer et je savais que ce genre d'écart ne nuirait pas à mon objectif, cela allait même contribuer à l'atteindre, je n'en doutais pas.

▬ Pffffiou il est vraiment fort ce whisky ! Je ris légèrement, mes joues pâles rosirent sous l'effet de l'alcool. Avec un peu de chance il me fera tout oublier.

Je continuais à rire, tout en laissant des larmes couler le long de mon visage. Personne ne pouvait résister à une telle démonstration et encore moins quelqu'un qui mettait tant d'ouvrage et de stratagèmes en œuvre pour aider les autres dans l'ombre. Allait-il mordre à l'hameçon ? Parce que, même s'il n'était qu'un petit poisson, j'étais prête à le ferrer...