Deirdre ∞ Phoebe

Le dimanche avait toujours été le jour de la semaine que je détestais le plus. Une journée comme les autres somme toute, à la seule différence notable que c'était jour de marché. Un jour ou je devais me lever tôt afin d'aider mon père à l'étal. Je faisais les comptes, et j'avais le sourire pour vendre. Mais je ne supportais pas cette activité longue et particulièrement désagréable, dès lors que l'odeur de sang caillé et de poisson frais se mélangeait à vos cheveux, s'incrustait sur vos vêtements et votre peau. Pas vraiment un passe temps amusant pour jeune fille qui aspirait à des ballades sur la plage ou des révisions intensives dans l'espoir d'être remarquée par une université du capitole... Les études de haut niveau, dans la finance. Mon rêve utopique qui ne se réaliserait jamais. Mes pauvres parents ne tiendraient jamais le coup si je quittais le district 4 pour un luxe de paillettes que je condamne en secret... Mes géniteurs, eux si timides et aux idées biens arrêtées sur la capitale du pays et de ses habitants. Un enfant ayant trahi, c'est deja assez. Lukas... C'est lui qui devrait être ici, à gérer des transactions de morue. Au lieu de ça, il a préféré la lâcheté et un avenir assuré par une carrière de pacificateur.  Je lui en voulais, un peu. J'aimerais juste le retrouver, lui parler, au moins une fois. Cela faisait trois ans désormais que je n'ai pas entendu le son de sa voix...

« Phoebe, tu rêves, on a des clients à servir. Allez, lève toi et travaille. »

C'est une autre voix qui me sort de ma rêverie. Celle de mon père au regard furibond. Je ne suis pas là pour faire de la publicité. Allez Phoebe, du nerf. Une file de clients au teint gris me fait face. Le gris... Une couleur omniprésente dans ce district. Le ciel est gris, la mer est grises, les maisons sont grises, les poissons sont gris, les pavés sont gris et la population est grise. Blasée, je reprends mon rôle de petite fille sage et offre un ravissant sourire, tâche blanche dans ce monde monochrome. La ritournelle recommence. Présentation de la marchandise, des poissons les plus chers aux fruits de mer les plus frais et rafinés, tout y passe. Une styliste présentant ses tributs aux jeux de la casserole. Mais ceux là n'ont aucunes chances de s'en tirer... Je me souris à moi même. Je ne comprends pas cette obession malsaine que je porte aux Hunger Games. Un véritable dégoût, mêlé à la peur panique d'être tirée au sort au jour, tout cela avec une pointe de facination pour les capitoliens et leur mode de vie si décalé. Phoebe, tu rêves encore...  

L'acheteuse me fait encore face, elle attends que je lui prenne une simple sole. Un poisson peu goûteux et très accessible, trahissant son faible niveau social, tout comme sa vieille gabardine grise et rapiécée et son chapeau gris et informe. Je glisse le produit de la mer dans un papier journal et lui tends, en échange de quelques pièces pour subsister. Les temps sont durs en ce moment, la nourriture est de plus en plus compliquée à trouver. La menace des tesseraes plane au dessus de ma tête... Chut. Ne pas y penser. Client suivant. Tout à coup je lève la tête, étonnée et avance. La femme qui se tient devant moi n'est pas une habituée de notre étal. Je crois qu'elle n'est même pas une habituée du marché aux poissons et du district tout simplement. Un physique pareil, ça ne s'oublie pas. Une taille longiligne, un visage marqué, de longs cheveux roux et des yeux furtifs, noisettes tirant sur le vert. Je suis subjuguée par la couleur de sa chevelure. Feufollet lumineux et rapide , un véritable médicament à la monotonie qui embrumait ces lieux depuis trop longtemps. Je ne peux m'empêcher de lui sourire. Mes deux mains posées, bien à plat sur le comptoir je lui demande à mi voix.

« Bonjour, bienvenue. Vous souhaiter acheter quelque chose ? Dites moi ce que vous cherchez, ou qui vous cherchez... Je suis là pour vous conseiller. »

Comme mon interlocutrice tardait à répondre, je me mis à l'observer sans vergogne. Ses pupilles étaient à la fois patientes et attentives et agitées et sur leurs gardes. Un tel paradoxe ne pouvait être qu'intéressant non ?...