Cela faisait quelques temps que ma mère faisait des partenariats avec certains stylistes du Capitole. Nous en voyions arriver dans notre modeste magasin de bijoux dans le but trouver les accessoires qui auront le privilège d’être portés par les fameux mannequins que toutes les filles de mon âge essayent d’imiter. Quand un styliste signait un contrat avec ma mère, il l’invitait à assister à son défilé. A chaque fois, elle y allait seule, me jugeant trop jeune pour l’accompagner. Elle proposait à Pearl, mais elle refusait car ce n’était pas vraiment son truc.
Cette fois-ci pourtant, je trouvais deux invitations sur la table basse du salon. Ma mère avait-elle convaincue une de ses amies de venir avec elle ? J’attendais qu’elle revienne du travail pour lui poser la question.
« Ma chérie, me répondit-elle,
j’ai pensé cette fois que cela te fera plaisir de m’accompagner, pour te changer les idées… » Ha… C’est donc pour ça... Il était vrai que depuis que Pearl était aux jeux, je me faisais beaucoup de soucis. C’était certain que ma mère l’avait remarqué.
« C’est trop gentil... Merci maman !», murmurais-je en me logeant dans ses bras.
C’était certes dans des circonstances un peu tristes que je l’accompagnais, mais cela faisait tellement de temps que je rêvais d’assister à un vrai défilé que je n’y pensais même plus. Il fallait que j’en profite un maximum.
***
Nous étions installées dans la salle depuis une demi-heure déjà. Tout ce que je voyais m’émerveillait de plus en plus. Les personnes présentes étaient tellement bien habillées ! Je regrettais à présent ma tenue si modeste comparée à toutes ces dames à la mode. Ma mère était beaucoup moins impressionnée que moi et commençait à discuter avec sa voisine de droite. Je n’osais pour ma part pas bouger d’un poil, pour faire bonne figure. Je ne voulais pas paraître comme une campagnarde sortie tout droit d’un district inférieur ! J’attendais donc droite comme un piquet le début du fameux défilé.
Les lumières se tamisèrent, le spectacle pouvait commencer. Je n’avais jamais rien vu de semblable auparavant. Les couleurs venaient de partout. Je ne savais plus où regarder tellement tout me semblait magnifique.
Certaines personnes présentes dans le public ne manifestaient pas le moindre enthousiasme. Mince… Fallait-il se comporter comme cela ? Etre indifférent aux belles choses pour faire semblant de s’y connaitre ? Je me tournais vers ma mère pour voir comment elle se comportait. Je la voyais sourire et applaudir à chaque passage d’un mannequin. Quelle idiote je faisais. Je devais arrêter d’essayer d’imiter les autres et m’amuser un peu. Je me relaxai alors et profitai du show.
Le styliste arriva à la fin du défilé pour saluer la foule qui applaudissait à tout rompre. Ça avait été un véritable succès. Les premières personnes commencèrent à partir de la salle. Je ne voulais plus quitter mon siège. Je voulais revivre en boucle ce moment, cette parenthèse magique, à jamais. Ma mère m’arracha à ma rêverie pour me parler.
« Katarina, dit-elle en me montrant sa voisine, m’invite au cocktail VIP qui se déroule après chaque défilé. Je pourrais garnir mon carnet d’adresse car il y aura tout le gratin du Capitole. »Oui c’était une bonne chose pour gagner des clientes, mais je ne savais pas pourquoi elle devait se justifier.
« Le problème est qu’elle ne peut avoir qu’une place… Je suis désolée... mais tu ne pourras pas venir avec moi. »Ha d’accord… Je ne savais pas trop quoi lui répondre.
« C’est pas grave m’man. Je attendre dehors, il fait assez bon et je ne suis pas pressée. »C’est vrai que j’avais terriblement envie de l’accompagner, mais je ne pouvais pas tout avoir. Je ne voulais pas la culpabiliser de me laisser toute seule.
« Va t’amuser, ne t’occupe pas de moi. » Finis-je par dire.
Elle me regarda d’un air désolé avant de retourner retrouver sa nouvelle amie. Il ne restait à présent plus grand monde dans la salle, je décidai donc de partir à mon tour. Je compris à quel point il faisait chaud où nous étions quand je me pris une bourrasque de vent aux portes du bâtiment. Après quelques secondes pour m'habituer, je me rendis compte que c'était supportable et je cherchai alors un endroit où m'installer.
Je m’installai un peu à l’écart de l’entrée. Je contemplais la ville qui commençait à se baigner dans l’obscurité. Obscurité était en fait un grand mot car avec le nombre d’écrans, d’immeubles et de lampadaires allumés, on se croyait en plein jour. J’observais les passants dans la rue avec amusement en essayant de deviner à chaque fois leur histoire.
« Tu n'aurais pas vu mon père, par hasard? »Je me retournai. Une jeune fille me fixait avec de grands yeux.
« Il s'appelle Phileas. Blond, grand, avec des lunettes. Il devait m'attendre ici. »Je ne savais pas si elle se rendait compte que je ne pouvais pas l’aider à retrouver son père, mais je lui répondis quand même.
« Non, désolée. Je ne connais pas grand monde par ici car je ne viens pas souvent dans ce coin.» Dis-je simplement.
En la voyant s’inquiéter vraiment, je lui demandais :
« Tu l’attends depuis longtemps ? »J’espérais que ce n’était pas grave et qu’il allait arriver dans un moment ou un autre.
«C'est quoi ton nom? »Sa question me surprit car je n’étais pas habituée à ce que l’on me parle directement comme ça, sans passer par de longues conventions que la société exige lorsque l’on ne connait pas la personne qui est en face de nous.
« C’est Coralie. Et toi ? » Lui répondis-je.
J’étais au départ sur la réserve, mais je me rendis compte que je n’avais rien d'autre à faire en attendant le retour de ma mère. Je décidais donc de continuer la conversation.
« Tu fais quoi toute seule dans la rue ? » Lui demandais-je.
Je la questionnais un peu comme le faisait ma mère avec moi, mais bon tant pis. Et puis de toute façon j’étais curieuse de savoir pourquoi se baladait-elle toute seule le soir sans personne pour l’accompagner.