Non ! Adaline se redressa en sueur, au milieu de son lit. Ses yeux écarquillés cherchaient un point de repère dans la pénombre. Ce n'était qu'un cauchemar. Enfin, non. C'était la réalité. Sa réalité. Ravalant des larmes brûlantes qui tentaient de couler, elle serra les poings et se leva vivement. Elle fit quelques pas, en rond, pour se calmer. Pour enlever ses horribles pensées. Oublier ces sons terrifiants. C'était peine perdue. Résignée, la jeune fille s'habilla et sortit de chez elle, la lune était encore pleine. Il faisait froid, mais pas suffisamment pour atténuer la colère qui grondait en elle. Elle s'éloigna encore, déambulant dans les rues désertes de son district. Elle salua Alan, un vieil homme qui avait, depuis bien longtemps, perdu le sommeil. Pauvre et sans famille, il s'asseyait souvent au bord de sa bicoque et regardait les étoiles. Il lui avait dit un jour que chacune d'elle lui rappelait ceux qu'il avait aimé et qu'il avait perdu. Un triste souvenir pour un homme qui n'avait plus rien à perdre à part la vie. Le vent frais commençait à calmer Adaline. Le bruit de ses pas lents étaient étouffés par le sable de la route, créant derrière elle un nuage de poussière. Elle finit par stopper son errance, et s'assit au bord d'une grande fontaine en pierre posée au milieu d'une place fantomatique. Elle soupira longuement et leva les yeux au ciel. Elle fixa ces petits points lumineux, repensant aux paroles du vieil Alan. Dans un murmure à peine audible, elle s'adressa aux scintillement qui s'étalaient au dessus d'elle. Est-ce que tu es là, Leanne ? Est-ce que ce vieux fou à raison ? De nouveau, les larmes serrèrent sa gorges et tentèrent de s'échapper de ses yeux. Mais aucune ne coula. Aucune ne coulerait plus jamais, parce qu'elle avait déjà trop pleurer. Reprenant ses émotions en main, Adaline plongea ses doigts dans l'eau trouble de la fontaine, remuant doucement l'eau qui tournoyait déjà. Des bruits de pas attirèrent son attention et lui firent relever la tête. Une silhouette se dessina dans la pénombre, et ce n'était certainement pas un pacificateur. Il lui sembla reconnaître l'homme qui s'approchait lentement, distinguant même la bouteille qu'il tenait à la main. Winston. Elle sourit malgré elle. Non sans avoir eu son lot de malheur et d'esprit torturé, il restait quelqu'un de gentil et de généreux. Elle le connaissait depuis un petit moment, maintenant. Il avait été celui qui lui tendait le pain lorsque la faim était trop dure à supporter, et il était maintenant celui qui lui tendait l'épée alors que la mort était trop lourde à porter. Elle n'avait jamais su pourquoi, très tôt déjà, il l'avait aidé. Il n'avait jamais rencontré sa famille, il lui parlait toujours à elle. Enfant, elle le voyait un peu comme un ange, qui tombait toujours à pique lorsque les choses tournaient à la catastrophe. Mais elle n'avait jamais cherché à savoir non plus. Il avait été là pour elle et il était encore là aujourd'hui, c'était le plus important. Toujours en fixant la silhouette de l'ex mentor, elle leva une main vers lui pour lui faire un signe. Elle voulait qu'il sache qu'elle était là. Elle ne voulait pas parler, mais elle voulait qu'il soit là. Il était son seul soutien, maintenant que Leanne était partit pour toujours. Et même si elle ne lui dévoilait rien de sa peine, au fond, elle avait l'impression qu'il savait. Qu'il comprenait. Et qu'il ne l'abandonnerait pas.  

Elle le vit s'approcher, lentement. Elle remarqua alors sa mine tendue, ses yeux cernés par des nuits agités. Il se tenait là, devant elle, comme un fantôme. Elle ne l'avait pas vu souvent comme ça. Peut être une ou deux fois, il y avait de cela un long moment. Elle se contenta de le fixer lorsqu'il s'excusa, ne sachant trop pourquoi il l'était. Puis il fit demi-tour avant de s'arrêter de nouveau. Il n'allait pas partir, en fin de compte, et elle en était satisfaite. Ce n'était pas une nuit qu'elle voulait affronter seule. Il revînt sur ses pas et pris les mains d'Adaline, se mettant à sa hauteur. Elle perçu alors son visage torturé. Las. Il était désolé pour sa sœur, pour ce qu'il avait fait par le passé. Le regard d'Adaline se durcit. Elle savait, au fond d'elle, les ravages que causaient les jeux. Vingt-quatre candidats, un seul gagnant. Mais bien vingt-quatre morts. La preuve était juste sous ses yeux. Winston, heureux vainqueur, triste survivant. Les jeux les détruisaient tous. Ils ôtaient la moindre parcelle d'humanité en chacun de nous. En chacun d'eux : les tributs. Elle avait au moins là une maigre consolation : Leanne était morte sans jamais avoir eu à connaître cette déchirure qui semblait ronger Winston de l'intérieur. Elle était morte sans avoir tué. Ressortant de l'arène aussi pure et innocente qu'elle y était entrée.

Adaline et Winston étaient seuls au milieu de la nuit, plongés dans un silence uniquement brisé par les paroles meurtries de l'ex-mentor. Elle se souvenait l'avoir vu alcoolisé, il y a quelques années. Délirant, même, une fois. Mais jamais elle ne l'avait vu pleurer. Pourtant, coulant sur ses joues creusés par la fatigue et le remord, c'étaient bien des larmes qu'elle voyait. Dans une période sombre ou la mort était présente chaque jour et planait au dessus des districts comme une épée de Damoclès, Adaline, elle tentait de ne plus pleurer et Winston, lui, se laissait enfin aller. Les rôles, pour une fois, semblaient s'échanger. Ils n'étaient que deux âmes à nue, touchées par la douleur. Une douleur différente, certes, mais qui les rapprochaient, en cette sombre nuit. Doucement, la jeune fille quitta la main du vainqueur pour la poser sur sa joue et écraser les quelques larmes qui s'échappaient de ses yeux rivés sur le sol. Tu n'es pas un meurtrier, ce sont eux les meurtriers. Eux, les membres du Capitole et tous leurs supporters. De sa voix grave mais incertaine, Adaline tentait de lui faire comprendre ce qu'elle voyait en lui. Tu es quelqu'un de bien, peu importe ce que tu as dû faire pour survivre. La personne qui était dans l'arène, ce n'était pas toi. Toi tu es gentil. Toi tu nous aide. Ce sont eux qui ont fait toutes ces choses. Qui ont tué Leanne. Qui t'ont fait du mal. Je les déteste. Elle se pencha vers le visage de Winston pour lui murmurer quelque chose à l'oreille. Un jour on se vengera, et ils paieront pour ce qu'ils nous ont fait. Elle en était persuadée, c'était sa seule raison de vivre, aujourd'hui. La vengeance. Et si un jour, elle était tirée au sort à son tour, alors elle serait prête et tenterait de les tuer avec elle.   

Winston était toujours près d'elle, mais il n'était pas vraiment là. Son esprit semblait ailleurs, pris dans un tourbillon de pensées sordides et de souvenirs sombres. Adaline ne savait pas à quoi il pensait, comment aurait-elle pu ? Mais la douleur se lisait sur son visage, et elle n'était pas aveugle. Lorsqu'il lui parla de rejoindre le capitole, elle voulu lui dire qu'il ne ferait jamais ça. Que c'était impossible. Mais elle ne dit rien, car au final, le destin est une chose qu'on ne maitrise pas. Les gens changent, c'était indéniable, et elle ne pouvait jurer qu'un jour, il se trahirait. Alors elle se contenta d'acquiescer. De lui donner sa parole. Oui, elle le tuerait s'il le fallait, bien qu'aujourd'hui, elle se sentait totalement incapable d'une telle chose. Ses mains toujours liées à celle de Winston, elle écoutait ses confidences, ses peurs, ses doutes. Il ne voulait pas d'une vengeance, pas encore. Mais elle oui. Elle en était certaine. Déterminée. Pourquoi tuer des innocents ? Je n'ai pas parler d'eux. Mais je veux détruire le Capitole, pas ses habitants. Le faire tomber. Et faire tomber les jeux. Voilà, c'était dit, entre deux murmures. Elle exprima sa colère, sa tristesse, son désarroi face à la situation qu'elle était en train de vivre. Elle n'avait que 13 ans et devait affronter la mort. L'injustice. Le manque. La vie semblait ne plus avoir de sens, sauf si son sacrifice conduisait à la victoire. La victoire de ceux qui souffrent et qui s'entre-tuent pour le pouvoir des plus riches. Pour les faire rire. Adaline sentit son point se serrer malgré elle. Puis son sourire la ramena à la réalité. Un sourire triste et éphémère, mais tout de même plaisant à regarder. Elle plongea alors son regard dans le sien et tenta de sourire à son tour. Melvil n'est pas ici, mais de toute façon, je veux que tu me montres ce que tu sais faire. Je veux apprendre à mieux manier mon arc, à me servir d'une épée, à mieux survivre et... Elle soupira. Elle voulait tout, en réalité. Tout ce que l'on pouvait lui apporter. Montre-moi, Winston. S'il te plaît. Tout ce que tu peux. Elle ne voulait pas prendre le risque de ne pas être préparée au mieux, si son tour venait bientôt. Lui, c'était un vainqueur. Il avait connu cet enfer. Il en était ressortit. Elle hésita un moment avant de poser une question qui la démangeait. Comment c'est là-bas, au Capitole ? Est-ce que c'est vrai qu'ils vous donnent des chambres immenses et luxueuses en attendant … L'arène ? Et les gens sont tous aussi voyants que Sélène ? Tout ce qu'elle avait pu entendre sur leurs extravagance n'était basé que sur des rumeurs. Évidemment, elle n'y était jamais allée et personne ne lui en avait jamais parlé non plus. Pourtant, elle voulait savoir. Peut-être parce qu'il restait finalement en elle, caché derrière la rage, la peine, et la guerrière en devenir, la petite fille curieuse qu'elle était autrefois.