Histoire du personnage - « Stood at the edge of the valley. Looked at the ground below
Oh I was surrounded. There's no where left to go… »
YOU ARE THE WILDERNESS«
Toutes mes félicitations, madame et monsieur Featherstone, c’est un garçon ! »
Je crois me souvenir que mes parents n’ont jamais parus aussi heureux et satisfaits que lorsque l’obstétricien leur a sorti cette phrase, alors que je poussai mon premier cri de nouveau-né. Je crois que ma mère pleurait, c’est en tout cas ce que me rapporte mon père quand il m’en parle, et que ce dernier s’est empressé d’aller annoncer la nouvelle d’un héritier au sein d’une des familles les plus puissantes de Panem. J’ai vu le jour dans le District Un, autant dire qu’une cuillère en argent avait été déposée dans ma bouche et comptait sans doute me suivre pour le reste de ma vie. C’est beau de rêver. C’est beau de naître… A d’autres. C’est dégueulasse une naissance et un accouchement, je ne sais pas qui a décrété que c’était le truc le plus « joli » de toute sa vie. C’est sale, ça en fout partout et en plus, ça pue. Sérieux, qui aime vivre ça ? Même moi, alors que j’étais le sujet principal ce soir-là, je me suis empressé de me mettre à hurler pour qu’on daigne me laver et me mettre au chaud. Non mais, on n’a pas idée d’accoucher en plein mois de Novembre. Ma mère commençait déjà sa longue et interminable liste d’erreurs avec une brillance qui n’appartenait qu’à elle.
Je m’appelle Kyle. Kyle Tollak Featherstone. Oui, mes parents n’ont rien trouvés de mieux que de me foutre un prénom bizarre en plein milieu, surtout quand celui-ci signifie « le jeu de Thor » dans une langue aujourd’hui oubliée ; heureusement que le premier seul est utilisable, sinon on n’était pas sorti de l’auberge. Je suis né un premier novembre, année 2201, soit cent-trente-neuf ans après l’instauration des Hunger Games et l’anihilation du district 13 de la carte ; et j’ai grandi dans une opulence telle que l’arrogance était pour moi un trait de caractère commun entre toutes les personnes que je rencontrais. Mes parents étaient joaillers, produisant les plus belles pièces de tout Panem et les vendant à prix d’or au Capitole qui en raffolait ; de ce fait je n’ai jamais manqué de rien hormis de cet étrange sentiment que l’on appelle « l’amour parental ».
Je n’étais pas un fils, j’étais LE fils. Celui qu’on présente, dont on est fier, l’objet des convoitises et de toutes les gourmandises, celui qu’on expose et qu’on vante, celui qu’on chérit d’avantage comme un objet de collection que comme réellement un enfant en bas âge. Tout évènement était bon pour que je sois de la partie, et je croulais sous d’innombrables cadeaux offerts par ceux qui souhaitaient s’attirer les bonnes grâces de ma famille. Je demandais, je recevais. Tout était fait pour que rien ne manque à la douce vie qu’on m’offrait, comme un cadeau auquel je devais répondre par la positive.
Je n’ai jamais eu conscience d’être égoïste, mais je savais parfaitement que j’occupais un statut très particulier. Je jouais de cela pour m’aventurer au-delà des limites que me fixaient ma mère, galopant au milieu des nombreux ateliers et m’intéressant à tout ce qui pouvait me passer sous le nez avec un émerveillement trahissant ma candeur enfantine. J’appris à lire, à dévorer les livres de la bibliothèque cachée au grenier de notre maison. Mon père détestait cette idée, mais c’était encore un acte de ma mère – nouvelle erreur de sa part. Elle adorait passer des heures à me raconter des contes ou des histoires, même parfois me lire de simples articles de journaux relatant de faits bien antérieurs à ma naissance. Et je l’écoutais, en silence. Un silence calme, morne, monotone. Qu’y avait-il de si intéressant à rester assis seul dans une grande maison vide ? Tout respirait le bonheur autour, mais je ne m’y sentais pas à ma place.
Pire. Je m’y sentais isolé et enfermé en cage.
«
Kyle ! Mais tu es fou ! Qu’est-ce que tu fais ? Lâche-ça ! Lâche-ça immédiatement ! »
Alors quand Sélène est née, je fus partagé entre un sentiment de satisfaction immense, mais aussi celui d’une haine viscérale envers cette drôle de créature qui daignait faire du bruit la nuit et attirer toute l’attention de nos parents. Elle devint rapidement la nouvelle petite coqueluche du District Un, et tout ce que l’on m’avait offert, on lui l’offrit à elle. Je l’observais souvent, ce bébé inconscient qui n’avait rien demandé à personne. Je l’observais jouer sur un tapis de sol brodé de soie et d’or. Je l’observais dans ses vêtements à la dernière mode en train d’arracher la tête de la dernière poupée pas encore disponible sur le marché. Je l’observais se complaire dans cette existence d’illusions et de richesses avec un côté naturel qui me mettait hors de moi. Comment pouvait-elle supporter tout ça ? Pourquoi devait-elle le faire ? Pourquoi existait-elle, tout simplement ?
J’avais toujours été un garçon très calme. Jamais un mot plus haut que l’autre, jamais une attitude capricieuse au point de faire des scandales comme d’autres enfants les faisaient, jamais une crise de larme ou une crise de rire. J’avais été bien élevé dans un petit moule du parfait citoyen, et jusqu’à mes huit ans je m’y suis très bien tenu. Puis j’ai regardé avec attention le cadavre de cet oiseau sur le sol. Je l’ai observé pendant plus d’une heure, détaillant ses plumes arrachées par touffes, ses pattes brisées dans des angles étranges, et son estomac explosé aux viscères dévorées par un chat ou par des vers. Je l’ai touché du bout d’un bâton, comme pour vérifier qu’il était bien mort, puis j’ai voulu approcher ma main mais le dit chat est arrivé à toute vitesse. Il m’a griffé la main jusqu’au sang, emportant avec lui son tribu charogné de la sorte jusqu’à un petit muret à quelques mètres. J’ai observé les cicatrices se dessiner, la chair se déchirer et le sang se mettre à perler avec de grosses gouttes. La première à tâchée ma chemise, puis la seconde à agrandie la trace. Mes yeux clairs fixaient cet étrange phénomène que je ne connaissais pas, puis se sont tournés vers le chat. Comme si celui-ci allait répondre à mes questions ! Bien sûr que non. Bien sûr qu’il était occupé à dévorer l’oiseau mort. Il s’en délectait les babines à s’en tacher les poils roux de son menton. Il dévorait cette créature comme un festin. A nouveau le dos de ma main. Je me penchai alors et goûta du bout de ma langue le liquide carmin qui s’écoulait. Cela me piqua la bouche, exposant à mes papilles une étrange saveur que je ne connaissais pas. Mais qui avait un insondable goût de plaisir.
Au début, je ne faisais que chercher à mettre la main sur des petits cadavres d’animaux. Puis j’ai commencé à en taquiner certains. La première bestiole que j’ai tué, c’était une sorte de rat énorme à la queue touffue. Il y en a eu d’autres ensuite, des oiseaux et des rongeurs principalement. Je trouvai un manuel de chasse dans le grenier, et me prit à le dévorer du début à la fin sous ma couverture le soir venu. Parcourant les pages avec l’attention d’un élève modèle et sérieux. Tout y était décrit avec une précision folle, illustré par des dessins d’hommes montrant leur proie abattue en trophée. Poissons. Oiseaux. Mammifères – je ne savais pas qu’il en existait d’aussi gros avant. Au bout de quelques semaines, je demandai à mon père ce qu’était la chasse et pourquoi il ne la pratiquait pas. Son discours fut éloquent, « on ne chasse que lorsque l’on a besoin de se nourrir… ou de montrer que l’on est le plus fort. » Il me montra d’ailleurs une arme qu’il gardait précieusement dans l’un des tiroirs de son secrétaire. Un neuf millimètres flambant neuf, portant encore la marque de son fabricant malgré son ancienneté. Il me parla des balles à glisser dedans. Me montra comment l’enclencher. Me promis de m’emmener dans un endroit pour m’apprendre à tirer et, pourquoi pas, abattre une cible ou deux. Je n’en eu pas besoin.
La dernière fois que j’ai tué un chat, c’était celui de cette conne d’Arietty Grims qui n’arrêtait pas de venir grogner vers Sélène quand la fenêtre était ouverte. Il s’est aventuré une fois de trop et a fait pleurer Sélène qui n’avait que deux ans à l’époque. Elle disait que sa robe allait être toute déchirée et qu’il lui faisait peur, sans doute persuadé que la créature lui voulait du mal à elle personnellement. En même temps, qu’est-ce qui ne tournait pas autour de son nombril à cette époque ? Devant son insistance, je suis sorti de la pièce. Je me suis rendu dans le bureau de notre père et j’ai pris l’arme. J’ai ouvert la boîte de balle et les ai minutieusement glissées dans chaque emplacement. Sélène continuait de chouiner à l’entrée du bureau, m’ayant suivie pour s’assurer que je ne la laissais pas toute seule avec cette horrible chose. J’ai refermé le barillet et me suis avancé vers elle, la prenant par la main pour retourner dans sa chambre. Le chat était là, à faire ses griffes sur la tapisserie hors de prix. J’ai dit à Sélène de ne pas s’inquiéter, que le chat ne l’embêterait plus, puis j’ai visé. J’ai appuyé plusieurs fois sans comprendre ce qui ne fonctionnait pas. J’ai regardé l’arme, essayé d’appuyer encore. Puis j’ai trouvé un loquet, que j’ai défait. Le canon vers le chat. La détente qui part en arrière. Le doigt qui appui sur la gâchette. Et l’explosion viscérale de la pauvre bestiole à en retapisser le coin de la chambre.
Le boucan a alerté les domestiques, qui ont ensuite alertés mes parents. Je me suis pris le plus gros sermon de ma vie. Je voyais ma mère serrer Sélène de toutes ses forces contre elle, couvrant ses cheveux bruns et ses oreilles fragiles comme pour la protéger. De qui, de moi ? Mon père était furieux. Il hurlait. Il a levé la main sur moi et m’a giflé avec violence. A nouveau le goût du sang. Je l’ai regardé dans les yeux. Il a giflé encore pour mon insolence. J’étais inconscient et stupide à l’époque. Sinon, j’aurais gardé cette arme et tiré sur Sélène plutôt que sur ce foutu chat.
«
Bien les recrues, autant vous le dire tout de suite : il n’y aura qu’un vainqueur parmi vous tous. Alors, tâchez de pas l’abimer histoire qu’on ait un peu de quoi être la fierté du Capitole ! »
Deux mois plus tard, j’entrais dans le centre de formation des carrières. Et j’y passai la totalité de mon adolescence en compagnie d’autres personnes aussi prêtes que moi à en découdre. Non, en fait, y’a une petite erreur dans cette phrase. Personne n’était aussi prêt que moi, et je finis par clairement m’en rendre compte au fil des mois qui défilèrent. Puis des années. Des années de moissons, à entendre le nom des autres sortir, et attendre avec une certaine impatience le jour où se serait enfin mon tour. Je voyais les volontaires se désigner à la place des appelés. Je voyais les gens pleurer et se sacrifier. Je voyais les peines et les joies sur les visages. Je voyais les jeux à la télévision. Je voyais tout… et cela ne me donnait que plus envie encore. Enfin quelque chose pour lequel je me sentais fait, je me sentais dans mon élément, dans la bonne voie à engager. J’étais un carrière, et je n’étais pas le pire, loin de là.
J’ai pris ma première raclée très rapidement. Une sorte de retour à la réalité fatale, anéanti par un carrière plus âgé que moi qui m’asséna des coups à n’en plus finir. Avais-je seulement cru pouvoir le battre ? Avais-je seulement espérer qu’il arrêterait de frapper grâce à mon âge ? Bien sûr que non. Si certains furent choqués du traitement qu’il m’infligea, je lui en suis moi-même reconnaissant de ne pas avoir retenu ses coups. Pire, je les avais provoqués. Et quand deux années plus tard, je l’anéantissais sur le sol avec une hache fichée dans l’épaule, je su que cette douleur n’avait pas été vaine. Ce stratagème avait au contraire été parfait pour réveiller en moi cette étrange chose que l’on appelait la fureur. J’étais calme. J’étais posé et froid. Je suis resté calme. Mais je suis aussi devenu impulsif et colérique, au point d’en effrayer les nouvelles recrues et les plus âgées quand je mis K.O le sixième d’affilée dans un long tournoi illégalement tenu par nos tuteurs. Je m’étais entraîné, aussi bien de corps que d’esprit : course, musculation, tir à l’arc, combat au corps à corps, maniement des couteaux, des épées, des masses, puis de la hache. Cet objet était vraiment fait pour les jeux, aussi lourd que tranchant. Une invention machiavélique pour réduire en deux le crâne d’un adversaire. Il avait d’ailleurs fallu que mon mentor m’intercepte plusieurs fois dans mes dernières années, avant que je ne porte un coup trop fatal à mon assaillant sur le sol. Eneron était très chiant pour ça. Trop.
Au bout de quelques années, Sélène s’est à son tour pointé au centre d’entraînement. Entre temps, nous avions eu une nouvelle petite sœur dans la famille : Channelle. La nouvelle égérie du district, un adorable petit grain de fille que je ne voyais que trop peu. En effet, depuis l’incident du chat, j’entretenais des rapports assez cordiaux mais impersonnels avec mes parents respectifs. Même si ma mère essayait souvent de recoller les morceaux, mon père et moi nous vouions une haine réciproque et un agacement intolérable. Rien de ce que je ne faisais n’était satisfaisant pour lui. Et rien de ce qu’il pouvait me dire ne pouvait me convaincre de revenir à la maison. J’y passais pour le strict minimum et pour assurer l’image de la famille parfaite : un sourire par-là, une soirée mondaine de temps en temps, des réunions dans leur entreprise lors de la venue de gros clients… mais c’était tout. Je ne voulais plus rien avoir affaire avec lui, et lui avec moi. Après tout, maintenant, il avait ses deux filles, non ?
«
Moi, Kyle Featherstone, je me porte volontaire comme tribut ! »
Je venais de lever la main et de prendre la place de ce jeune garçon à lunette qui semblait littéralement vouloir se pisser dessus sur l’estrade. Mes yeux se tournèrent vers Opaline, qui fit exactement de même quelques instants après moi. J’esquissai un sourire dans sa direction, alors que les pacificateurs m’extirpaient des rangs pour me pousser en avant. Le sang coulait tel un poison violent dans mes veines, tellement l’adrénaline circulait à m’en faire détacher le cœur. Mon regard acier croisa celui de ma jeune sœur qui, du haut de ses douze ans, semblait effarée que l’on ait osé prendre sa place. Pensait-elle vraiment qu’elle était prête ? Pensait-elle vraiment qu’elle s’en sortirait vivante ? Sélène, qui encore hier pleurait à cause d’un chat à la con qui s’approchait d’elle en ronronnant. Non, vraiment, il ne fallait pas me prendre pour un idiot. Elle n’avait rien de prêt, même dans son entraînement tout était à revoir. Je soutins le regard glacial qu’elle m’adressa, puis l’ignorai alors que les gardes armés la faisaient descendre de là avec son ancien camarade. La place est de nouveau prise, désolé petite sœur. Soit sage, et n’embête pas Channelle ou je reviendrais te foutre une raclée.
Tout alla ensuite très vite : un au-revoir à mes parents, un baiser à la petite Channelle qui s’agrippait à ma chemise, et même pas le moindre son pour l’autre pimbêche ingrate, puis nous voilà à partir en direction du Capitole. Adoration. C’était le terme parfait pour décrire la foule qui nous attendait à l’arrivée et qui nous hurla toutes sortes de choses. Opulence, comme le choix des tenues que nous eûmes à porter pour la cérémonie de présentation des districts. J’observai Opaline dans une magnifique robe blanche parée de plumes de cygnes et de paon, faisant ressortir sa longue chevelure blonde et son petit nez en trompette ; et c’est cette jolie robe que je lui arrachai avec violence dans l’ascenseur qui nous montait au bon étage. Elle y resta, d’ailleurs, alors que nous baptisâmes le premier canapé venu dans une étreinte passionnée et sulfureuse. Cette fille était d’une beauté revigorante, d’une joie de vivre tellement différente de la mienne, et pourtant pourvue d’un sadisme malin aussi proche du mien que tous deux avions rêvés de s’affronter dans une arène. Le rêve allait pouvoir se réaliser. Mais pour l’heure, je me perdis entre ses cuisses et savourai notre premier soir de tribut.
Les jours s’écoulèrent dans le centre d’entraînement. Je me montrai particulièrement doué pour les combats au corps à corps, alliant différentes techniques de combat, acquises dans mon adolescence, à l’utilisation d’armes lourdes et d’ordinaire difficilement maniables. Celle qui eut ma prédilection fut à nouveau la hache, que je m’amusais à polir et aiguiser longuement pour le simple plaisir de passer mon doigt sur la lame et d’y voir le liquide rougeâtre y couler. Créatif, je trouvais toujours de nouvelles façons de me défendre ou de parer les coups d’un adversaire invisible. Violent, je mettais à terre le moindre de mes adversaire sans aucun remords. «
Vous êtes deux combattants très prometteurs , alliez-vous ; vous aurez plus de chance de tenir longtemps. Mais si les autres Carrières vous propose une alliance, déclinez l'offre. Ce serait trop risqué : ils pourraient vous asséner un coup de couteau dans le dos en voyant votre force. » Nous répétait Eneron lors de ces quelques jours de sursis. Merci, mais pour moi, c’était une évidence. Qui avait besoin de faible quand on faisait une chasse à l’homme ? J’avais Opaline, et c’était tout ce qui importait. Pas de pensée pour ma famille. Pas de pensée pour mes sœurs. Je me concentrais sur moi, et sur nous.
J’obtins la note maximale de douze lors de mon passage devant les juges et sponsors. Opaline se mit à rire et à applaudir, certifiant que c’était la manière dont j’avais coupé la tête du mannequin à la fin de ma présentation d’un coup sec à la hache qui m’avait valu ce point. Je me tournai vers elle et la gratifiait d’un simple sourire, observant les autres scores. Elle obtint un très bon dix, ce qui était tout à fait exceptionnel. La fille carrière du district deux fut gratifié d’un neuf, et le garçon du quatre, lui aussi carrière, d’un dix. Les autres se battaient de moins bonnes notes, et il semblait évident que les gagnants de ces jeux étaient déjà désignés. Non content que cela ne me conforte dans mon égo, je fus cependant surpris de la réflexion que fit Eneron à la fin des notes. «
Attribuer un 12 et un 10… Sont-ils fous ? Opaline ne méritait pas le 10, elle va être prise pour cible trop rapidement. Et Kyle, il va falloir faire attention : étant le meilleur du classement, tu auras des sponsors mais aussi beaucoup d’ennemis. » C’est vrai que je n’avais pas observé ce côté de la chose. Les meilleures notes étaient gratifiantes, mais apportaient aussi le danger. Eliminer les meilleurs du jeu étaient une sécurité que les deux autres carrières ne manqueraient pas de s'assurer.
Opaline me tira de mes pensées lorsqu’elle embrassa ma bouche en déboutonnant ma chemise. Elle m’avait entraîné dans la chambre que nous partagions, et programmé la baie vitrée pour qu’elle laisse apercevoir une vue de nuit du Capitole. Je l’observai un moment, mais jalouse de ne pas avoir mon attention, elle me rappela à l’ordre. Je m’excusai du bout des lèvres en glissant ma main dans ses cheveux blond clair, caressant son dos puis sa hanche, avant de la pousser en arrière. Ce n’était pas le moment de douter ou de se remettre en question. C’était trop tard pour cela. Cette nuit était la dernière que nous devions passer ensemble et, quand elle agrippa mon dos à m’en griffer la peau jusqu’au sang, toutes mes incertitudes passagères s’étaient envolées vers d’autres cieux.
«
Cinq … Quatre … Trois … Deux … Un … »
Il faisait un froid polaire. Je voyais la vapeur s’échapper de ma bouche et de mes narines, alors que mes yeux parcouraient les alentours. Une étendue immense et enneigée, bordée d’une épaisse forêt épineuse d’où on voyait descendre lentement la brume. A vu d’œil, il devait bien y avoir 600 mètres entre les plots des tributs et la corne d’abondance, que l’on devinait à peine à travers le brouillard. Coup d’œil à gauche, je devinais un des tributs du district 5 qui me regardait en se mordant la lèvre. A ma droite, une jeune fille qui serrait ses doigts gelés dans des poings maladroits. Nous avions revêtus nos combinaisons de survie avec par-dessus d’épais manteaux à la capuche bordée de fourrure. Qui était le crétin de styliste qui avait réfléchi à un truc pareil ? Certes ça pouvait nous protéger du froid, mais ça allait entraver nos mouvements avec une certaine dérision. Je soupirai, la mâchoire serrée. Même si j’avais attendu ce jour toute ma vie, se retrouver sur ce plot avait quelque chose de grisant et d’exaltant. Je sentais mon cœur s’accélérer et le sang battre à mes tempes. Je sentais le vent froid mordre mon visage alors que les premiers flocons touchaient le sol. Pliant mes genoux, je me tins prêt. Et je sautai.
Courir n’avait jamais été un problème pour moi. Visiblement, ce n’était pas non plus une difficulté pour le gamin qui s’était trouvé à ma gauche et qui haletait à plein régime pour tenir la cadence jusqu’à la corne d’abondance. Je l’ignorai, me focalisant sur ma cible comme si rien d’autre ne comptait d’avantage. Je mis le pied à l’intérieur le premier, saisissant le premier objet qui me tomba sous la main : une batte. J’abattis celle-ci avec une violence inouïe dans la face de la gamine qui se retrouva à côté de moi malgré elle, lui fracassant le crâne et la faisant tomber lourdement sur le sol enneigé. J’avisai les couteaux alors que deux autres tributs arrivaient, en lançant un dans la cuisse du garçon pour le ralentir alors que je saisissais la fille qui voulait visiblement me percuter pour la soulever. Sous son propre élan, elle passa au-dessus de moi et chuta sur l’étalage des armes blanches dans un grand fracas. Déjà j’étais sur elle, plantant l’une d’elle dans sa gorge et déchirant la peau de son cou dans une gerbe de sang chaud. Fumant. Grisant. Le type blessé hurla en voulant m’asséner un coup dans le dos, mais je l’esquivai de justesse avant de tirer son bras pour le faire chuter. Un coup de poing, puis deux, et je repris le couteau de sa voisine pour lui perforer le poumon. J’appuyai de toutes mes forces pour être sûr de traverser les épaisseurs, et le hoquet suivi d’une mousse rougeâtre qui s’échappa de ses lèvres me signifia qu’il était mort. Très bien, ça en faisait déjà trois de moins.
Je distinguai deux tributs qui partaient en courant après avoir attrapé des sacs à dos. Ayant un instant d’accalmie, j’en profitai pour aviser rapidement l’autre côté de la corne d’abondance. Mes doigts tâtèrent et trouvèrent ce que j’avais désiré : une hache. Elle était là ! Délicieux instrument de torture et de volupté. Mon moment d’extase failli bien me coûter la vie, quand je ne fus pas assez rapide pour parer l’attaque d’un garçon un peu plus grand que moi. Heureusement, une flèche vint se ficher en plein dans sa tempe et alourdit son geste, ne faisant que me blesser à la joue sommairement. Je tournai la tête, prêt à attaquer… « De rien, bébé. Fait attention la prochaine fois ! » Me fit Opaline en rechargeant son arbalète, tout sourire. Dieu qu’elle était divine ainsi accoutrée, du sang ayant giclé sur son visage et ses bras. Je ne pris pas le temps de hocher la tête, saisissant un type du district 11 au corps à corps alors qu’il s’apprêtait à s’enfuir avec une machette. Lui assénant un coup à lui couper le souffle en plein plexus solaire, je me défoulai sur son visage jusqu’à entendre les os de ce dernier craquer. Et plus ça craquait, plus le sang aspergeait. Plus il aspergeait, plus je me sentais revigoré. C’était ça, les jeux ? Putain, l’éclate totale.
J’ai tué huit tributs ce jour-là et Opaline en a abattu cinq. Avec son arbalète, elle n’a pas hésité une seule seconde à tirer lorsqu’une énième silhouette s’est dessinée dans le brouillard. Six pour elle. Nous avons récupéré des sacs à dos rapidement, quelques armes et des grenades. Nous ferons le tri plus tard, alors que nous sortons de la corne d’abondance prudemment. Elle rit, exulte de satisfaction en sautillant dans la neige comme si tout ceci était un conte. Elle a l’air tellement heureuse que je ne peux m’empêcher de sourire en retour. Soudain, un couteau vient se ficher dans l’épaule de son manteau et l’immobilise dans un hoquet de surprise. Elle n’a pas le temps de se surprendre d’avantage que j’ai déjà lâché les sacs et me suis lancé à corps perdu en direction du type qui est en train de s’enfuir en courant. Je le devine à une dizaine de mètre à peine. Nous sortons de la zone de brouillard. Je le rattrape. Tend la main… Et le voit s’effondrer dans un hurlement strident. En pleine course, je parviens de justesse à bondir au-dessus de lui pour l’éviter et atterrir un peu plus loin en glissant, posant un genou et une main à terre.
Le garçon pousse des jurons et des cris d’effroi en tenant sa jambe, le sol se colore rapidement de rouge et je devine alors l’objet de son échec : un énorme piège à loup s’est refermé sur son mollet et l’a presque scié en deux. Je me redresse rapidement, comme s’il me fallait un instant pour comprendre. Piégé. Ok. Donc, la neige est piégée… Et le gars qui vient d’attaquer Opaline n’est autre que le garçon du district 4, l'un des carrières opposé. Et bien. Drôle de coïncidence. En me voyant debout, il se met à me supplier de l’aider. Me dit qu’il souffre, qu’il pourrait nous être utile, ce genre de bobards qu’on fait gober à un gamin de 10 ans, pas à moi. Je n’ai rien répondu. Je n’ai pas hésité. J’ai levé le bras et j’ai abattu cette immense hache qui fait ma fierté droit sur son cou, tranchant d’un coup sec la chair, les muscles, l’œsophage, la trachée et la colonne vertébrale. Sa tête retombe mollement sur la neige, suivie de son corps, figée dans une expression éternelle d’effroi et de terreur. Ca fait neuf pour moi.
Je rejoignis Opaline en faisant attention où je marchais. Elle m’avait attendue et manqua de me ficher une flèche dans le torse avant de me reconnaître. Nous primes les sacs et nous dirigèrent en direction de la lisière la plus proche. Nous croisâmes la fille du district 10, elle aussi victime des pièges à loup qui avaient saisis son mollet puis son visage. Opaline passa devant sans même lui adresser un regard, et je fis de même. La compassion, ce n’était pas pour nous. Et nous appliquâmes cette doctrine durant les deux semaines et deux jours que durèrent nos jeux de la faim. Seize morts dès le premier jour, ils promettaient d’être des plus divertissants ! Nous traquâmes chacun des autres tributs restant, même si nous en découvrîmes un qui était mort gelé par la nuit et son manque de savoir-faire. Le jeu de pistage était un réel plaisir, surtout à travers la neige où les plus faibles étaient bien trop vite repérables et les plus aguerris un défi des plus croustillants. Nous fûmes implacables. Incontrôlables. Alternant entre de longues journées de chasse et quelques nuits torrides pour nous réchauffer mutuellement.
Et quand le dernier des tributs adverses rendit son dernier soupir, c’est d’un pas tranquille que nous revinrent tous deux à la corne d’abondance. Nos armes sur l’épaule, nos manteaux couverts du sang des autres jeunes de la moisson, nous plaisantions sur le chemin en repensant aux derniers jours écoulés. Elle s’était rincé le visage et lavé les cheveux, en coquette qu’elle était ; et m’avait forcé à me raser. « Il faut être beau pour le grand final ! » M’avait-elle dit d’un ton réprobateur, et je n’avais pu que m’amuser de cette idée aussi stupide. Je reniflai, les pommettes brûlées par le froid polaire de l’arène, appréhendant le moment où nous posâmes le pied à la corne d’abondance. Nous avions laissé le reste de nos affaires dans la forêt, nous savions que nous n’allions plus en avoir besoin. Tout se terminait ici. Aujourd’hui. Maintenant.
Notre échange fut sanglant. Blessant. Destructeur. Elle avait une force et une volonté terrible, et je dû admettre ne pas me battre correctement au départ. Comme si une part de moi refusait de se donner à fond dans ce corps à corps. Mais je me resaisi très vite, me rappelant qu’il était impensable et intolérable que je ne sorte pas vainqueur de ces jeux. J’ignorais ce que l’extérieur pensait de ce qu’il s’était passé, mais je ne comptais pas faillir au moment de la dernière ligne droite. Opaline compris que je ne mesurais plus mes coups lorsque je lui brisai la mâchoire, mais elle aussi avait du fil à retordre. Jouant avec le sol en glace sur lequel nous étions, elle parvint à m’immobiliser en me passant une corde autour du cou. Qu’elle serra. De toutes ses forces, elle serra. Je fixai le ciel laiteux, sentant soudain mes forces s’évanouir à mesure que le sang ne parvenait plus à monter jusqu’à mon esprit. Je me senti suffoquer. Etouffer. Gronder de rage à l’idée de mourir d’une manière aussi stupide. Mourir ?… Hors de question. Dans un ultime élan, je saisis ses cheveux blonds à les lui arracher, et abattit sa tête en direction du sol avec une violence telle que la glace se fissura. Sonnée, ses mains lâchèrent la corde. J’en profitai pour recommencer mon geste sans un instant de répit. La glace se brisa. Révélant une eau claire et gelée. J’aurais pu ne pas le faire. J’aurai pu hésiter et la laisser gagner. Elle avait un sourire superbe et une bouche à en damner les saints. Mais je n’étais pas de ceux qui ont des remords ou des scrupules. Non. La tuer fut au contraire une immense libération. Je lui plongeai la tête dans l’eau et la maintins ainsi, me laissant tomber sur elle pour l’empêcher de se relever. Elle n’avait jamais été bien lourde. Bien forte. Pas face à moi. Et elle mourut sous mes mains dans des derniers spasmes d’agonie.
Le coup de canon retentit enfin. Je venais de remporter les cent cinquante-neuvièmes Hunger Games.
«
Ah, celle-là ! Décidément, cette famille à la victoire dans les gènes ! Bravo à Sélène Featherstone pour sa victoire aux cent soixante-septièmes Hunger Games, huit ans après son frère aîné et mentor, Kyle Featherstone ! Pouvons-nous espérer retrouver la petite dernière dans quelques années ? Seul le sort le décidera ! »
Je fixai l’écran, les bras croisés sur la poitrine et l’air particulièrement de mauvaise humeur. Certains diront que c’est l’air que j’ai habituellement, mais dans ce cas je leur dirais d’aller se faire foutre. Ma famille était à côté de moi, ces parents qui avaient été les mien, et cette jeune sœur d’à peine une dizaine d’année. Ils avaient été les seuls autorisés à entrer dans le sas pour attendre la sortie de la gagnante de l’arène. Toute la foule attendait à l’extérieur, impatiente de féliciter et glorifier celle qui venait d’abattre vingt-et-une personne. Ou plutôt, vingt. Car je n’étais pas stupide et ma place de mentor me permettait d’avoir accès à une salle particulière lors des jeux. J’avais ainsi pu voir, comme tout le reste des juges et de l’équipe de technicien, que le sol s’était effondré sous le pied de ce gamin alors que Sélène courait vers lui. Mais – et c’est là où on se rend compte que les techniciens sont des génies – les caméras avaient été coupées et remontées juste à temps pour faire croire qu’elle venait de le pousser de la falaise. Ce serait la version officielle, celle que les gens n’oublieraient jamais. Mais nul doute que ma cadette n’oublierait jamais la sienne.
Avec cette victoire, je lui léguai mon siège de mentor que j’avais occupé pendant huit ans. J’avoue avoir espéré ne pas la revoir, plus parce que je la trouvais particulièrement faible et sujette à bien trop de sentiments contraires pour faire d’elle une vraie gagnante. Mais il faut croire que le destin en avait décidé autrement, puisque Sélène allait bientôt s’en aller dans sa tournée des districts, puis être au centre de toutes les attentions. Et moi ? J’allais devoir me la coltiner pendant plusieurs mois à cause de la tournée promotionnelle. Cette idée ne m’enchantait guère, ou plus clairement, ça me faisait carrément chier. A voir ma tête, Channelle du déduire mes pensées car elle vint me saisir le bras en me lançant un regard compatissant. Elle avait dix-sept ans de moins que moi, un vrai coup de folie de la part de nos parents ; et elle ne se souvenait probablement même pas des jeux auxquels j’avais participé. Uniquement à travers les vidéos diffusées dans les districts, y compris au centre d’entraînement des carrières. Elle aurait pourtant désormais tout loisir de se souvenir, puisqu’elle avait apparemment suivi ardemment la progression de notre sœur.
Je passai simplement un bras autour de ses épaules, me grattant machinalement la gorge où apparaissait encore clairement la brûlure provoquée par la corde qu’Opaline avait serrée autour de mon cou. Un souvenir macabre qui me confortait pourtant dans mon statut de vainqueur, m’apportant une satisfaction personnelle non négligeable. J’ai quitté le siège de mentor, mais à la demande générale je suis resté au centre d’entraînement pour former les tributs de carrière ; bon ça m’oblige à me coltiner l’autre emmerdeuse de temps en temps, mais étant donné qu’elle est plus intéressée par la tournée au Capitole que réellement par les deux gamins qu’on lui confie chaque année, elle ne traîne pas trop dans mes pattes. Tant mieux, je n’aimerais pas avoir à tirer à vue. Et puis, qu’est-ce qu’on s’en fout des gamins qui perdent, sérieux. Jusqu’à ce que Channelle s’y mette aussi. Et là, la partie est devenue alors vraiment compliquée. Délicieusement compliquée.